Michel Jaboyedoff: « Plus de la moitié des glissements de terrain sont générés par l’homme »

En Suisse, les principales lignes ferroviaires sont généralement bien construites et bien protégées pour résister aux dangers naturels. Cependant, l’occupation grandissante du sol et le réchauffement climatique augmentent les risques de catastrophes naturelles. Le professeur lausannois Michel Jaboyedoff, spécialiste de la gestion des risques environnementaux, a effectué plusieurs études scientifiques sur ces phénomènes de dégradation de notre milieu naturel.

Quels sont les dangers naturels qui menacent les lignes ferroviaires de notre pays?
Comme toute construction, le réseau ferré helvétique est menacé par plusieurs dangers naturels: éboulements, glissements de terrain, inondations, érosions, sans parler des tempêtes et des avalanches… Mais je tiens à préciser que les grandes lignes ferroviaires suisses font l’objet d’importantes mesures de protection et de sécurité. Les chemins de fer de montagne des entreprises de transport concessionnaires (ETC) sont naturellement plus exposés. Ils parcourent des zones à plus grands risques sur des pentes souvent très raides.

Vous dites que les grandes lignes ferroviaires sont bien protégées, mais sur la ligne du Gothard, les glissements de terrain ne sont pas rares.
En matière de dangers naturels le risque zéro n’existe pas. Le passage du Gothard est un véritable Emmental notamment à cause des fortifications créées par l’armée, ce qui augmente le risque de chutes de blocs et glissements de terrain.

Vous voulez dire que c’est l’intervention de l’être humain qui est responsable des éboulements qui surviennent sur la ligne du Gothard ?
En partie oui, et pas uniquement au Gothard. Les constructions de routes et de bâtiments sur des zones pentues provoquent des concentrations d’eau qui peuvent à leur tour engendrer des glissements de terrain. Il y a tout simplement plus souvent des glissements de terrain là où l’activité humaine favorise des concentrations d’eaux. A l’heure actuelle, plus de la moitié des glissements de terrain enregistrés en Suisse, sont générés par l’homme. Dans notre pays, la densité de la population augmente tout comme la valeur des constructions et des biens. En cas de catastrophe naturelle, l’ampleur des dégâts augmente. C’est pour cela que nous tendons vers une gestion intégrée du risque pour limiter les coûts et les dommages.

Quelle est selon vous la principale faiblesse au niveau de la prévention des risques ?
Elaborer de belles cartes indicatives des dangers liés aux avalanches, aux chutes de pierres, aux glissements de terrain et aux laves torrentielles comme nous le faisons dans les universités et les bureaux d’études c’est bien, les mettre en adéquation avec les plans d’aménagement du territoire serait mieux !

Y a-t-il un gros problème de ce côté-là ?
La classe politique manque de courage. Il faut prendre ses responsabilités : si une zone est à risque, il ne faut pas céder aux intérêts des promoteurs immobiliers, ni aux autorités locales qui sont prêtes à délivrer un permis de construire à l’aveuglette. Cependant, il faut le dire, nous sommes de plus en plus contraints d’effectuer des prises de risques pondérées, de construire là où des risques d’avalanches ou d’inondations existent. Cela doit se savoir et des mesures de protection doivent être prises. La communication est un outil de prévention.

Est-ce que cette prise de risque pondérée serait également envisageable pour des dangers qui menaceraient des tronçons de voies ferrées ?
Bien sûr. J’effectue au Canada une étude géologique sur la ligne ferroviaire touristique du Massif de Charlevoix conduisant de Québec à La Malbaie le long du fleuve St-Laurent. Par endroits des chutes de blocs menacent. Au lieu de construire des ouvrages d’art qui coûteraient des sommes colossales, j’ai proposé que l’on mette en place un système de vidéosurveillance géologique qui puisse alerter le service d’exploitation et le mécanicien qui pilote le train afin de d’arrêter le convoi au cas où des blocs menacent réellement de tomber sur la voie. Ce qui ne veut pas dire que l’on ne construira jamais des ouvrages de protection. Mais comme les collectivités publiques sont financièrement sollicitées de toutes parts, des systèmes temporaires de vidéosurveillance pourraient faire l’affaire en attendant la construction d’ouvrages de protection.

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Photo AC

BIO
Michel Jaboyedoff est né le 8 février 1962 à Lausanne. Diplômé en géologie, détenteur d’une licence en physique, il a défendu son doctorat en minéralogie sur le métamorphisme des Alpes en Suisse occidentale. Marié, père de deux fils, il est domicilié à Lausanne. Le professeur Michel Jaboyedoff a mené des recherches sur les glissements de terrains dans plusieurs pays. Il a créé la Fondation Quanterra (Centre international sur les dangers naturels et risques en milieu montagneux).

Extrait de l’interview parue dans contact.sev, septembre 2012.