René Knüsel : « La crise ? Une chance à saisir ! »

Pour le politologue René Knüsel, une crise devrait inciter les syndicats à davantage revendiquer une réhumanisation du monde du travail.

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Pour le professeur René Knüsel, engager davantage de personnel pour améliorer le service à la clientèle, permet de limiter le chômage et déstresser le monde du travail. Photo AC

 

Vous vous attendiez à cette crise ?
Plusieurs indicateurs financiers et économiques nous l’annonçaient. Mais il y a quelques mois encore, personne n’imaginait qu’elle allait atteindre pareillement l’UBS, l’un des piliers économiques de notre pays. Avec l’annonce de 8700 licenciements, dont 2500 en Suisse, maintenant on peut dire que la crise s’est aussi installée dans notre pays. Des mesures anticycliques, des plans anti-crise, se mettent en place, mais leurs effets seront limités. Nos assurances sociales seront fortement mises à contribution.

Que faudrait-il faire pour éviter la montée du chômage ?
A mon avis, les syndicats ont la responsabilité de lancer une dynamique positive, de concert avec les employeurs. Je m’explique. Nous vivons dans un monde du travail hyper rationalisé qui a parfois perdu le sens du service à la clientèle. C’est le cas aussi bien dans les transports publics que dans la restauration ou dans d’autres domaines de l’économie. Il faut rechercher un meilleur service au public en engageant davantage de personnel. Dans ce sens, je dis que la crise est une chance à saisir.

 Pensez-vous sérieusement que les entreprises sont prêtes à augmenter leurs coûts du personnel ?
Dans de nombreux secteurs, les entreprises travaillent en sous-effectifs. Quel est le résultat de cette politique ? Il y a un stress collectif qui coûte très cher aux entreprises elles-mêmes et à la société. Cela coûte très cher en termes d’absentéisme et de maladie. De plus, cela fait le lit à un climat d’incivilités et de violence. L’exemple des transports publics est patent à cet égard. La lutte contre ces incivilités et cette violence coûte de l’argent. En engageant davantage de personnel, les entreprises contribuent d’une part à ne pas aggraver la situation de l’assurance-chômage, d’autre part elles déstressent leurs employés et, enfin, elles améliorent leur service à la clientèle. Cette crise devrait nous inciter à prospecter des voies nouvelles pour réhumaniser le monde du travail.

Engager du personnel pour réhumaniser le travail, c’est bien, encore faut-il que ce personnel soit formé.
La formation continue devrait faire partie des plans anticrise. Sur ce point, on ne réfléchit pas assez. D’un côté on exige de la mobilité, de l’autre côté on cesse de former. Les syndicats devraient, parallèlement aux revendications salariales, demander une forte stimulation de la formation continue.

Extrait de l’interview parue dans contact.sev, avril 2009.

 

 

 

 

Micheline Calmy-Rey évoque son père syndicaliste

Cette interview a paru dans L’Evénement syndical trois jours avant la création du syndicat Unia. Micheline Calmy-Rey y évoque la figure de son père et s’est exprimée sur  la libre circulation des personnes.

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La conseillère fédérale Micheline Calmy-Rey lors de l’interview qui a eu lieu au Palais fédéral en octobre 2004. Photo Thierry Porchet

 

Votre père Charles Rey a été un militant actif au sein du syndicat des cheminots. Qu’avez-vous retenu de son engagement ?
Mon père a été membre fondateur de la section du parti socialiste de St-Maurice (Valais) et il a effectivement présidé la section des contrôleurs de trains du dépôt CFF de St-Maurice. Je retiens la sincérité dont il a fait preuve à travers ses engagements de militant. J’ai aussi retenu son attachement au service public et la nécessité de devoir s’unir pour faire valoir les droits auxquels nous croyons.

Le 16 octobre aura lieu la fondation du syndicat Unia, quel regard portez-vous sur cet événement ?
Ce nouvel Unia est un grand espoir. Un syndicat interprofessionnel permet de donner une vue générale des problèmes du monde du travail. Cela devrait permettre plus d’efficacité dans le travail des syndicats.

Qu’est-ce que ça vous fait de savoir que, par exemple, dans la vente et l’hôtellerie-restauration il y a des personnes qui gagnent moins de 3000 francs par mois ?
Je suis tout à fait consciente qu’il n’est pas possible de vivre décemment avec des salaires aussi bas. C’est certain que cela sera un des grands défis d’Unia de négocier de bonnes conventions collectives de travail dans le tertiaire et de veiller à leur application.

N’est-ce pas un constat d’échec pour vous d’apprendre que depuis l’entrée en vigueur le 1er juin de la libre circulation des personnes, il existe une pression sur les salaires ?
Il existe des mesures d’accompagnement pour l’accord sur la libre circulation des personnes. Leur but est que le salaire de l’ouvrier ressortissant d’un pays de l’Union européenne s’aligne sur celui de l’ouvrier suisse et non le contraire. Pour cela, il faut bien sûr que les commissions tripartites cantonales fonctionnent.

De nombreux syndicalistes voient dans l’extension de l’accord sur la libre circulation des personnes aux dix nouveaux Etats membres de l’Union européenne un risque accru de dumping. Ils jugent ces mesures d’accompagnement inefficaces. Que leur répondez-vous ?
Le Conseil fédéral prend très au sérieux ces inquiétudes. C’est la raison pour laquelle, dans son projet de loi sur les mesures d’accompagnement, le Conseil fédéral propose de les renforcer. Il fait des propositions dans ce sens, comme par exemple la possibilité d’étendre plus facilement le champ d’application d’une convention collective de travail. De même, le projet de loi prévoit l’engagement d’un nombre suffisant d’inspecteurs dont les salaires seront financés à hauteur de 30% par la Confédération.

Extrait de l’interview de la conseillère fédérale Micheline Calmy-Rey, parue dans L’Evénement syndical, octobre 2004.

 

 

La classe ouvrière va au paradis

Le Jurassien Pierre-Louis Wermeille a été le seul prêtre-ouvrier qu’ait connu la Suisse

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Aujord’hui, l’abbé Pierre-Louis Wermeille, 60 ans, est l’aumônier des hôpitaux et homes médicalisés du canton du Jura. Il a été ordonné prêtre en 1968. Coïncidence, la visite de Jean-Paul II en Suisse survient juste cinquante ans après l’un des épisodes les moins glorieux du Vatican : en 1954, la hiérarchie catholique demandait aux prêtres-ouvriers de quitter usines et chantiers.

« La classe ouvrière va au paradis » est l’un des films les plus emblématiques de cinéma italien, palme d’or au Festival de Cannes en 1972. Le réalisateur Elio Petri y montre l’aliénation des ouvriers qui travaillent à la chaîne, l’arrogance des patrons, les abus du pouvoir politique et s’il devait y avoir un paradis, Elio Petri est convaincu c’est la classe ouvrière qui mériterait d’y accéder en tout premier. A l’époque de la sortie du film, l’abbé Wermeille travaillait dans une usine à Soceboz. Au début de son ministère, il a participé à l’activité de la JOC (Jeunesse Ouvrière Chrétienne). De 1974 à 1978, durant quatre ans et quatre mois, il a troqué sa soutane pour travailler en usine. Ila été le seul prêtre-ouvrier qu’ait connût la Suisse. Trente ans plus tard il évoque sa singulière expérience…

Pourquoi ce choix de travailler dans une usine ?
Dès que j’ai été ordonné prêtre, j’ai voulu m’approcher du monde du travail. J’ai contacté les responsables romands de la JOC. Pour moi, qui étais issu d’un milieu rural, le monde des ouvriers, des usines, a été une découverte. Après avoir été vicaire à Porrentruy et à Tavannes, j’ai découvert cette deuxième vocation, j’ai voulu travailler pour concrétiser mon engagement au sein du monde ouvrier. Je voulais être cohérent avec moi-même en réalisant un acte que me dictait ma conscience et qui me rendait solidaire avec des hommes et des femmes confrontés à la condition ouvrière.

Où avez-vous travaillé ?
A Sonceboz, à l’usine SIS (Société Industrielle de Sonceboz). Une entreprise qui comptait à l’époque quelque 500 ouvriers. J’avais suivi une petite formation qui me permettait de travailler sur des perceuses ou des machines destinées à l’alésage et au taraudage.

Qu’avez-vous découvert dans cette usine ?
J’ai découvert les limites d’être militant. Avant, je mesurais mal ce que signifiait s’engager pour une cause après une journée de travail. En même temps,

Comment évaluez-vous la position de l’Eglise face au monde du travail ?
L’Eglise a de la peine à sortir de sa sacristie. Elle investit énormément pour soigner son image : liturgie, pèlerinages, etc. C’est encore une Eglise qui attend les gens sur le parvis mais qui ne va pas à leur rencontre.

Extrait de l’interview paru dans L’Evénement syndical, mai 2004.

 

 

L’œil américain de Vasco Pedrina

Durant le deuxième semestre 2001, Vasco Pedrina, alors président du Syndicat de l’industrie et du bâtiment (SIB), avait pris un congé sabbatique de cinq mois. Lors de l’attaque du 11 septembre, il se trouvait dans une école de langue à New York . Fin novembre 2001, alors que les décombres des Twin Towers étaient encore fumants, je l’ai l’interviewé à Manhattan.

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Photo AC

Comment les syndicats américains ont-ils réagi face aux attentats du 11 septembre et l’entrée en guerre des Etats-Unis en Afghanistan ?
Il faut savoir qu’il y a eu plus de mille collègues syndiqués qui ont péri dans les attentats du 11 septembre. Dans les tours du World Trade Center, 343 pompiers sont morts. Les pompiers forment à New York une corporation qui connaît un fort taux de syndicalisation. Les syndicats américains ont donc pris très nettement position en faveur des attaques en Afghanistan. Pour eux, cette guerre est indispensable pour répondre aux actes terroristes qui ont profondément ébranlé la base syndicale américaine.

Quel impact a eu le 11 septembre sur les travailleurs new-yorkais ?
Du 11 septembre 2011 à fin octobre, soit en à peine 50 jours, quelque 80’000 newyorkais ont perdu leur travail. Le 70% d’entre eux ne reçoivent rien de l’assurance chômage parce qu’ils avaient un emploi précaire et le 30% reçoivent environ 1000 dollars par mois et ceci durant 6 mois, pas un mois de plus ! Le New York Times vient de titrer un article « Hunger Emergency in New York » où l’on apprend qu’un million de personnes vivant dans la Grande Pomme auront recours cet hiver aux repas distribués par des associations humanitaires.

Cela paraît invraisemblable que tout cela se passe dans la plus grande ville de la première puissance mondiale !
Pour moi, la morale de cette histoire est que, quand je rentrerai en Suisse, je vais dire à mes camarades, avec encore plus de véhémence, qu’il faut tout faire pour préserver nos acquis sociaux. Que c’est important de maintenir les infrastructures de services publics. Nous devons contrer par tous les moyens possibles les dérives néolibérales.

Extrait de l’interview parue dans L’Evénement syndical, décembre 2001.

 

 

Yvette Jaggi : « Il est difficile de défendre les intérêts des Romands au sein des CFF »

L’ancienne syndique de Lausanne Yvette Jaggi représente les intérêts des travailleuses et travailleurs au sein du Conseil d’administration des CFF.

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Quelles priorités vous êtes-vous fixées en entrant au sein du conseil d’administration ?
Je considère que je représente, par ordre de priorité : 1) les collègues, tout le personnel ; 2) les femmes employées et clientes ; 3) la Suisse romande. Il n’est pas aisé de défendre les intérêts du personnel à 2 contre 7 (au sein du Conseil d’administration des CFF, Yvette Jaggi représente le personnel avec le secrétaire syndical bernois Hans Bieri, ndlr) . Il faut chercher des alliances. Le plus difficile, aussi paradoxal que cela puisse paraître, c’est incontestablement la défense de la Suisse francophone. Tout ce qui est publié par les CFF est traduit et même bien traduit. Mais ils font cet exercice uniquement lorsqu’il s’agit d’un papier largement distribué. Les documents de travail et les discussions sont le plus souvent en allemand. Ils ne s’imaginent pas que cela puisse causer un problème. Dans ce sens-là, entre la défense des collègues, des femmes et de la Romandie, c’est la Romandie qui est le plus difficile. Les Germanophones dominent les CFF, comme ils dominent les syndicats d’ailleurs.

Question extraite de l’interview publiée dans travail & transport, décembre 1999.