René Knüsel : « La crise ? Une chance à saisir ! »

Pour le politologue René Knüsel, une crise devrait inciter les syndicats à davantage revendiquer une réhumanisation du monde du travail.

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Pour le professeur René Knüsel, engager davantage de personnel pour améliorer le service à la clientèle, permet de limiter le chômage et déstresser le monde du travail. Photo AC

 

Vous vous attendiez à cette crise ?
Plusieurs indicateurs financiers et économiques nous l’annonçaient. Mais il y a quelques mois encore, personne n’imaginait qu’elle allait atteindre pareillement l’UBS, l’un des piliers économiques de notre pays. Avec l’annonce de 8700 licenciements, dont 2500 en Suisse, maintenant on peut dire que la crise s’est aussi installée dans notre pays. Des mesures anticycliques, des plans anti-crise, se mettent en place, mais leurs effets seront limités. Nos assurances sociales seront fortement mises à contribution.

Que faudrait-il faire pour éviter la montée du chômage ?
A mon avis, les syndicats ont la responsabilité de lancer une dynamique positive, de concert avec les employeurs. Je m’explique. Nous vivons dans un monde du travail hyper rationalisé qui a parfois perdu le sens du service à la clientèle. C’est le cas aussi bien dans les transports publics que dans la restauration ou dans d’autres domaines de l’économie. Il faut rechercher un meilleur service au public en engageant davantage de personnel. Dans ce sens, je dis que la crise est une chance à saisir.

 Pensez-vous sérieusement que les entreprises sont prêtes à augmenter leurs coûts du personnel ?
Dans de nombreux secteurs, les entreprises travaillent en sous-effectifs. Quel est le résultat de cette politique ? Il y a un stress collectif qui coûte très cher aux entreprises elles-mêmes et à la société. Cela coûte très cher en termes d’absentéisme et de maladie. De plus, cela fait le lit à un climat d’incivilités et de violence. L’exemple des transports publics est patent à cet égard. La lutte contre ces incivilités et cette violence coûte de l’argent. En engageant davantage de personnel, les entreprises contribuent d’une part à ne pas aggraver la situation de l’assurance-chômage, d’autre part elles déstressent leurs employés et, enfin, elles améliorent leur service à la clientèle. Cette crise devrait nous inciter à prospecter des voies nouvelles pour réhumaniser le monde du travail.

Engager du personnel pour réhumaniser le travail, c’est bien, encore faut-il que ce personnel soit formé.
La formation continue devrait faire partie des plans anticrise. Sur ce point, on ne réfléchit pas assez. D’un côté on exige de la mobilité, de l’autre côté on cesse de former. Les syndicats devraient, parallèlement aux revendications salariales, demander une forte stimulation de la formation continue.

Extrait de l’interview parue dans contact.sev, avril 2009.

 

 

 

 

Une grève c’est beaucoup de travail…

Dur dur trois semaines de grève. Giovanni Salvagnin, des Ateliers CFF de Bellinzone, témoigne.

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Giovanni Salvagnin. Photo AC

 

« Moi c’est Salvagnin. Oui, c’est ça, Salvagnin comme le vin. J’ai 58 ans. Cela fait 34 ans que je travaille ici dans les Ateliers de Bellinzone. Je suis mécanicien de précision, marié, deux fils adultes. Ils se subviennent à eux-mêmes. Heureusement ! Mais pour mes collègues qui ont encore des enfants à la maison et qui ne savent pas s’ils vont perdre leur place de travail ou pas, c’est une autre chanson. Il y a pile une année, l’ancien directeur de CFF Cargo, Daniel Nordmann, est venu ici pour nous dire que les Ateliers de Bellinzone étaient rentables. Douze mois plus tard, on nous dit que nous sommes trop chers. Les CFF veulent privatiser le secteur de l’entretien des wagons et transférer à Yverdon-les-Bains l’entretien des locomotives. Ils nous prennent pour des pions. C’est légitime que nous nous soyons mis en grève. Nous ne faisons pas la grève pour le plaisir. Nous faisons la grève parce que nous voulons continuer à travailler dans nos Ateliers. Je trouve que l’organisation de cette grève est exemplaire. Je ne m’attendais pas à ce que l’on reçoive un appui si fort de la part de la population. Nous faisons plus d’heures de présence aux Ateliers durant la grève que lorsqu’on y travaillait… A la maison, je broie du noir ; ici, entre collègues, on se remonte le moral. Nous voulons gagner cette lutte. On ne reste pas sans rien faire, on va distribuer des tracts dans les villages pour expliquer le pourquoi de notre grève, on nettoie les Ateliers, on accueille les visiteurs. Des collègues font à manger. Il y a des épouses de collègues qui viennent nous donner un coup de main. Lors des manifestations qui ont eu lieu à Fribourg, Berne ou Bellinzone, nous avons organisé notre propre service d’ordre. Non, faut pas nous prendre pour une bande de rigolos qui croisent les bras pour le plaisir. Nous sommes des gens sérieux et responsables qui défendons notre place de travail. Regarde mes mains. Tu as vu ? J’ai perdu un doigt ici. Un accident de travail. Ces ateliers c’est ma vie ! »

 

Extrait de l’article paru dans L’Evénement syndical, avril 2008.

 

 

 

 

Nettoyeur, une profession méprisée

C’est l’histoire d’un jeune homme qui a lu dans « L’Evénement Syndical » cette phrase apparemment banale « il n’y a pas besoin de suivre une formation pour être nettoyeur ». Il n’a pas apprécié, lui, Cédric Marthe, 20 ans, qui venait précisément de passer son CFC de nettoyeur en bâtiment chez login, la communauté de formation des entreprises de transports publics. « Cela m’a énervé de lire ces lignes dans le journal de mon syndicat SEV. Ma copine m’a encouragé à réagir. » Cédric envoie donc un mail à notre rédaction. On s’excuse comme il se doit et on lui propose de le rencontrer pour qu’il nous parle de son métier. Quelques jours plus tard, nous voilà nez à nez avec Cédric Marthe au Buffet de la Gare de Bienne. Le jeune homme est discret, mais il dit ce qu’il a à dire. « J’ai réagi à l’article paru dans « L’Evénement syndical » parce que trop de gens sous-estiment et ne connaissent pas le métier de nettoyeur. Ils ne savent pas qu’il existe une formation avec CFC. J’ai effectué un apprentissage de trois ans chez login. J’ai appris la pratique du métier ici à la gare de Bienne, dans les bâtiments et les trains CFF. Les cours théoriques, je les ai suivis à Crissier, à la Maison romande de la propreté. »

Au terme de son apprentissage, Cédric Marthe est resté une année à la gare de Bienne où il a nettoyé les trains voyageurs. « Je travaillais souvent la nuit. C’est dur avec ces horaires irréguliers. » Depuis le mois de septembre de l’année passée, il travaille aux Ateliers industriels CFF d’Yverdon. « Je fais partie d’un team de treize nettoyeurs. Nous formons une toute nouvelle et bonne équipe chargée de nettoyer les trains inclinables ICN. Je suis polyvalent, je nettoie aussi bien les bâtiments des ateliers que les rames ICN. Dans ces trains, nous allons dans les détails, nous enlevons les sièges pour nettoyer à fond. » Lorsqu’on demande à Cédric ce qui l’attire dans son métier, il répond tout de go. « Quand j’ai fini un sol, j’aime bien quand ça brille! Et ça me plaît de faire en sorte que les gens entrent dans un bâtiment ou un train qui soient propres. »

Extrait de l’article paru dans L’Evénement syndical, février 2007.

Sabina Guzzanti, rire amer

Le film « Viva Zapatero » de Sabina Guzzanti est un documentaire accablant démontrant la mainmise du gouvernement Berlusconi sur les médias de la Péninsule.

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Sabina Guzzanti, réalisatrice de « Viva Zapatero ». Photo Neil Labrador

 

Si les films documentaires de Michael Moore vous ont plu, vous aimerez « Viva Zapatero » de Sabina Guzzanti. Chez l’Américain, la tête de pipe c’est Bush, pour l’Italienne c’est Berlusconi. Sabina Guzzanti arpente depuis plusieurs années avec succès populaire les scènes de théâtre de la Péninsule, grimée sous les traits du premier ministre italien.

Des politiciens italiens vous accusent, pour justifier votre mise à l’écart du petit écran, de faire de la politique et non de la satire.
Tout un chacun a le droit de faire les commentaires qu’il veut sur l’actualité politique. C’est absurde de prétendre que seuls les politiciens ont le droit d’aller devant les caméras pour parler de politique.

Un demi-million d’Italiens vivent en Suisse. Pensez-vous que votre combat peut les intéresser?
Bien sûr que oui. Une télévision libre, c’est la base de tous les droits. C’est à la télévision, par exemple, qu’on peut débattre des réformes du régime des retraites et de l’assurance maladie, thèmes susceptibles d’intéresser les émigrés qui veulent rentrer en Italie.

Est-ce que vous appréciez le fait que l’on compare votre film à ceux de Michael Moore ?
Nos films sont des documentaires politiques qui se veulent amusants. Mais notre approche cinématographique est différente. Michael Moore crée des situations, des gags. Il manipule un peu la réalité. Mais si l’Américain n’avait pas existé, peut-être que je n’aurais pas eu le courage de me lancer dans cette aventure.

Extrait de l’interview parue dans L’Evénement syndical, janvier 2006.

 

 

 

 

Un Afghan au volant des bus lausannois

Mudeerkhan Abash Khel est conducteur de bus aux Transports publics de la région lausannoise (TL). Il est membre du syndicat du personnel des transports SEV.

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Mudeerkhan Abash Khel à Lausanne, au volant d’un bus TL. Photo AC

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Mudeerkhan Abash Khel sur ses terres, pose fièrement avec son fusils entre deux amis. Il a quitté son pays à l’âge de 24 ans. Il a toujours vécu dans sa province de Khost, une zone tribale où dès l’âge de 14 ans les adolescents se déplacent généralement armés. Photo DR

 

« Le premier son que l’on fait entendre à un nouveau-né c’est celui d’un coup de feu. Chez nous on dit que cela le rendra courageux. » Mudeerkhan Abash Khel, 39 ans, a des allures de gentleman. Il évoque avec douceur, dans un très bon français, les mœurs guerrières de son Afghanistan natal. Cela a presque l’air de l’amuser de voir l’effet de surprise que provoque son récit dans les yeux de son interlocuteur. Alors il continue de plus belle. « Aux jeunes garçons, leur père explique qu’ils ne doivent pas se faire tuer avec une balle dans le dos, sinon ils ne seront pas enterrés. Mourir avec une balle dans le dos signifie que l’on a lâchement cherché à fuir l’ennemi. »

D’abord requérant d’asile
Mudeerkhan Abash Khel est né le 1er janvier 1966 dans la province rocailleuse de Khost, une zone tribale relativement indépendante du pouvoir de Kaboul, située à l’est du pays, limitrophe avec le Pakistan. Après son lycée, il a entrepris des études d’histoire dans la ville de Jalalabad. Des amis étaient partis en Allemagne. Il a voulu les rejoindre. « Je me sentais coincé dans mon pays. J’ai été arrêté le 26 avril 1990 à la frontière à Bâle alors que je tentais de rejoindre l’Allemagne. J’ai séjourné dans des centres d’accueil pour requérants dans les cantons de Neuchâtel et Vaud. C’est ainsi, le destin a voulu que je m’installe en Suisse. » Mudeerkhan Abash Khel décroche un premier emploi dans une ferme vaudoise. « Après une demi-journée j’avais les doigts en sang. Je n’avais jamais vraiment travaillé de ma vie. Chez moi j’étais un enfant gâté, j’étais l’aîné de 3 frères. Chez ce paysan vaudois, j’ai compris que pour gagner ma vie il fallait travailler dur. » Manœuvre chez un installateur de chauffage et ventilation, il entame une formation à la Croix-Rouge qui lui permettra de travailler durant 7 ans dans le milieu médical comme aide-soignant. Désormais en possession d’un permis d’établissement, il est entré il y a 4 ans aux Transports publics de la région lausannoise (TL).

Il rêve d’un Afghanistan pacifié
Mudeerkhan Abash Khel parle de son pays d’accueil en termes élogieux. « Je me sens très attaché à la Suisse. Je n’ai jamais été la cible de propos racistes. J’aime l’histoire suisse. » Au mois de novembre de l’année passée, il est retourné en Afghanistan. Il a expérimenté le dur dilemme des déracinés. « Quand je suis ici à Lausanne, mon pays me manque. Quand je suis arrivé là-bas, au bout de quelques jours je m’ennuyais. Il y a tellement de misère dans mon pays. » Et il y a les conflits qui perdurent. « J’aimerais que l’Afghanistan retrouve la paix, que toutes les ethnies puissent cohabiter paisiblement entre elles. »
Mudeerkhan Abash Khel apprécie les balades en montagne avec sa compagne, une Suissesse qui travaille dans l’enseignement. « Elle m’incite à découvrir ce beau pays. En contrepartie je cuisine des plats afghans. Nous avons du plaisir de recevoir des amis chez nous. » Mudeerkhan Abash Khel écoute volontiers la musique de son pays. « Avec cette musique, les beaux souvenirs de mon pays me reviennent en tête. Mais ma grande passion c’est la lecture des contes orientaux. Ils sont comme les histoires d’Harry Poter. Ils font s’envoler l’imagination. »

 Extrait de l’article paru dans L’Evénement syndical, mai 2005.

 

 

 

 

« L’homosexualité n’est pas une maladie »

Barbara Lanthemann, employée de commerce, a courageusement fait campagne en Valais pour la « Loi fédérale sur le partenariat enregistré », acceptée par les citoyens suisses le 5 juin 2005.

« Ces temps-ci, j’ai un agenda de ministre. Je cumule les rendez-vous. Heureusement que mon amie est patiente. » Barbara Lanthemann s’exprime à toute vitesse. Son verbe sûr, elle le manie avec passion pour promouvoir la Loi sur le partenariat enregistré pour personnes du même sexe (Lpart) qui sera soumise au référendum le 5 juin prochain. « C’est la première fois que je milite publiquement pour une cause. Ce qui me touche le plus dans cette campagne, c’est de voir des hommes et des femmes militer pour le partenariat enregistré alors qu’ils ou elles ne sont pas directement concernés par cette loi. Les combats gratuits sont les plus beaux ! »

Seule en Valais
Barbara habite Grône en Valais central. Elle travaille à plein temps dans une compagnie d’assurances comme employée de commerce. Elle a grandi dans le canton de Vaud au sein d’une famille « plutôt conservatrice ». Adolescente, elle est partie vivre en Valais : « Cela fait 24 ans que j’y suis. Je ne quitterai jamais un pays aussi beau. » Même si dans son canton d’adoption le oui à la loi sur le partenariat enregistré ne semble pas acquis : « L’Eglise catholique y est opposée et le PDC ne prend pas position, ce sera dur dur. » Barbara Lanthemann sillonne le Valais, participe à des débats contradictoires, tient des stands dans des centres commerciaux, s’exprime dans les médias et devant des publics tous genres confondus. Elle est la seule personne directement concernée par cette loi sur le partenariat qui ose affronter ouvertement la presse valaisanne.

Amalgame homo-pédo
« Les gens qui sont contre la loi sur le partenariat enregistré ont tendance à nous éviter. Certains même nous insultent. Pourtant, cela fait longtemps que l’on sait que l’homosexualité n’est pas une maladie. Notre société doit enfin se regarder en face. Cette loi est faite pour des couples homosexuels qui veulent vivre une relation durable. Point. » Barbara ne comprend pas le mélange que certaines personnes font entre la loi sur le partenariat et gaypride ou travestis. Dans cette confusion, ce qui la touche le plus, c’est l’amalgame « homo-pédo ». « Il me semble que dans les milieux professionnels, il y a de moins en moins de discrimination envers les homosexuels. Sauf dans le milieu scolaire, à cause de cet incroyable et inadmissible amalgame qu’homosexuel est égal à pédophile. C’est très grave de faire croire que les lesbiennes et les gays sont nocifs pour l’enfant. Je connais des profs qui ont une peur bleue que l’on découvre leur homosexualité. Peur de la réaction des parents. Peur que les élèves fuient. »

Extrait de l’article paru dans L’Evénement syndical, mai 2005.

A fond de train avec Hirschhorn

L’artiste suisse Thomas Hirschhorn a fait en 2004 – 2005 un tabac à Paris avec son exposition « Swiss-swiss Democracy » où les références au monde ferroviaire sont nombreuses.

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« Le train est l’image du transport collectif afin de relier le monde. » Photo AC

« Swiss-swiss democracy », l’exposition de Thomas Hirschhorn au Centre culturel suisse de Paris, fermera ses portes le 30 janvier prochain. Elle a déjà pulvérisé le record de fréquentation au Centre culturel suisse de Paris avec plus de 20’000 visiteurs. L’expo a immédiatement suscité la polémique avec la question à un million : « l’art subventionné peut-il se mêler de politique ? ». Avec les Thomas, c’est toujours pareil, il faut voir pour croire. L’œuvre d’Hirschhorn est un pamphlet contre le populisme. Les collages et les slogans que l’on peut lire sur les cartons scotchés à l’intérieur du Centre culturel suisse de Paris suscitent la réflexion, remettent en cause. C’est décapant et ludique. La présence de collages de schémas du tunnel de base du Gothard et de quelques maquettes avec trains miniatures qui circulent, dévoilent l’intérêt que Thomas Hirschhorn porte au monde ferroviaire.

Que symbolise pour vous le train ?
Permettez-moi de vous répondre avec une phrase du psychanalyste français Michel Foucault. «C’est un extraordinaire faisceau de relations qu’un train, puisque c’est quelque chose à travers quoi on passe, c’est quelque chose également par quoi on peut passer d’un point à un autre et puis c’est quelque chose également qui passe. »

Quelle fonction ont les maquettes de trains dans votre exposition Swiss-swiss Democracy ?
Ce sont des maquettes (il n’y a que des maquettes des trains régionaux : RHB, BLS, etc.), donc ce sont des projets. Des projets pour relier un point à un autre. Le projet de relier le monde est là (en Suisse), mais il n’est pas réalisé, le train reste seulement à l’état d’image, d’idéal.

Les collages des schémas du tunnel de base du Gothard sont-ils là pour montrer un important aspect de la démocratie directe helvétique qui a permis aux citoyens de décider d’investir plusieurs milliards de francs pour relier de manière écologique le Nord et le Sud de l’Europe?
Les tunnels sont là (les schémas, les maquettes, les vidéos) parce qu’il n’y a pas de « génie » (suisse) de faire des tunnels. Les tunnels sont là parce qu’il y a l’obstacle naturel (la montagne) à franchir. C’est la même chose avec la démocratie. Il n’y a pas de « génie » démocratique, il n’y a pas d’idéal démocratie, il y a seulement des réalisations.

Quelle idée au juste avez-vous alors voulu véhiculer dans votre exposition avec cette présence du monde ferroviaire ?
Les trains et aussi les maquettes de trains véhiculent l’idée même de la démocratie : le collectif! Le train est l’image du transport collectif afin de relier le monde.

Au fond, votre exposition ne dénoncerait-elle pas un certain train-train helvétique ?
Je ne fais pas de jeux des mots J’aime les gens « fans du train ». J’aime les gens qui connaissent tout sur les trains, sur les lignes du train, sur les trajets, sur les maquettes du train. J’aime tous les fans.
Ce que je veux : interroger le tabou, l’idéal « démocratie », une démocratie régionale n’a aucun sens si par ailleurs au monde il n’y a pas de démocratie, la démocratie doit être une réalisation universelle. Rien n’est plus luxurieux et plus auto satisfaisant que de se dire : «je suis démocrate».

L’avant-garde artistique a une connotation élitaire. N’avez-vous pas envie d’être plus accessible envers Madame et Monsieur-tout-le-monde ?
Je ne veux pas être « accessible », faire un « travail accessible ». Je fais de l’art, je ne fais pas de la culture. Mais je veux faire un travail pour un public non-exclusif. Je veux inclure avec mon travail, je ne veux pas exclure. Je ne veux intimider personne par mon travail. Je veux me confronter avec la réalité, avec le monde dans laquelle je vis et avec le temps dans lequel je vis. Les maquettes de train, je les intègre aussi dans mon travail pour créer une fenêtre vers l’autre, pour ouvrir une porte vers l’autre, pour y inclure aussi l’admirateur de maquettes de trains.

Extrait de l’interview parue dans L’Evénement syndical, janvier 2005.

 

Micheline Calmy-Rey évoque son père syndicaliste

Cette interview a paru dans L’Evénement syndical trois jours avant la création du syndicat Unia. Micheline Calmy-Rey y évoque la figure de son père et s’est exprimée sur  la libre circulation des personnes.

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La conseillère fédérale Micheline Calmy-Rey lors de l’interview qui a eu lieu au Palais fédéral en octobre 2004. Photo Thierry Porchet

 

Votre père Charles Rey a été un militant actif au sein du syndicat des cheminots. Qu’avez-vous retenu de son engagement ?
Mon père a été membre fondateur de la section du parti socialiste de St-Maurice (Valais) et il a effectivement présidé la section des contrôleurs de trains du dépôt CFF de St-Maurice. Je retiens la sincérité dont il a fait preuve à travers ses engagements de militant. J’ai aussi retenu son attachement au service public et la nécessité de devoir s’unir pour faire valoir les droits auxquels nous croyons.

Le 16 octobre aura lieu la fondation du syndicat Unia, quel regard portez-vous sur cet événement ?
Ce nouvel Unia est un grand espoir. Un syndicat interprofessionnel permet de donner une vue générale des problèmes du monde du travail. Cela devrait permettre plus d’efficacité dans le travail des syndicats.

Qu’est-ce que ça vous fait de savoir que, par exemple, dans la vente et l’hôtellerie-restauration il y a des personnes qui gagnent moins de 3000 francs par mois ?
Je suis tout à fait consciente qu’il n’est pas possible de vivre décemment avec des salaires aussi bas. C’est certain que cela sera un des grands défis d’Unia de négocier de bonnes conventions collectives de travail dans le tertiaire et de veiller à leur application.

N’est-ce pas un constat d’échec pour vous d’apprendre que depuis l’entrée en vigueur le 1er juin de la libre circulation des personnes, il existe une pression sur les salaires ?
Il existe des mesures d’accompagnement pour l’accord sur la libre circulation des personnes. Leur but est que le salaire de l’ouvrier ressortissant d’un pays de l’Union européenne s’aligne sur celui de l’ouvrier suisse et non le contraire. Pour cela, il faut bien sûr que les commissions tripartites cantonales fonctionnent.

De nombreux syndicalistes voient dans l’extension de l’accord sur la libre circulation des personnes aux dix nouveaux Etats membres de l’Union européenne un risque accru de dumping. Ils jugent ces mesures d’accompagnement inefficaces. Que leur répondez-vous ?
Le Conseil fédéral prend très au sérieux ces inquiétudes. C’est la raison pour laquelle, dans son projet de loi sur les mesures d’accompagnement, le Conseil fédéral propose de les renforcer. Il fait des propositions dans ce sens, comme par exemple la possibilité d’étendre plus facilement le champ d’application d’une convention collective de travail. De même, le projet de loi prévoit l’engagement d’un nombre suffisant d’inspecteurs dont les salaires seront financés à hauteur de 30% par la Confédération.

Extrait de l’interview de la conseillère fédérale Micheline Calmy-Rey, parue dans L’Evénement syndical, octobre 2004.

 

 

La classe ouvrière va au paradis

Le Jurassien Pierre-Louis Wermeille a été le seul prêtre-ouvrier qu’ait connu la Suisse

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Aujord’hui, l’abbé Pierre-Louis Wermeille, 60 ans, est l’aumônier des hôpitaux et homes médicalisés du canton du Jura. Il a été ordonné prêtre en 1968. Coïncidence, la visite de Jean-Paul II en Suisse survient juste cinquante ans après l’un des épisodes les moins glorieux du Vatican : en 1954, la hiérarchie catholique demandait aux prêtres-ouvriers de quitter usines et chantiers.

« La classe ouvrière va au paradis » est l’un des films les plus emblématiques de cinéma italien, palme d’or au Festival de Cannes en 1972. Le réalisateur Elio Petri y montre l’aliénation des ouvriers qui travaillent à la chaîne, l’arrogance des patrons, les abus du pouvoir politique et s’il devait y avoir un paradis, Elio Petri est convaincu c’est la classe ouvrière qui mériterait d’y accéder en tout premier. A l’époque de la sortie du film, l’abbé Wermeille travaillait dans une usine à Soceboz. Au début de son ministère, il a participé à l’activité de la JOC (Jeunesse Ouvrière Chrétienne). De 1974 à 1978, durant quatre ans et quatre mois, il a troqué sa soutane pour travailler en usine. Ila été le seul prêtre-ouvrier qu’ait connût la Suisse. Trente ans plus tard il évoque sa singulière expérience…

Pourquoi ce choix de travailler dans une usine ?
Dès que j’ai été ordonné prêtre, j’ai voulu m’approcher du monde du travail. J’ai contacté les responsables romands de la JOC. Pour moi, qui étais issu d’un milieu rural, le monde des ouvriers, des usines, a été une découverte. Après avoir été vicaire à Porrentruy et à Tavannes, j’ai découvert cette deuxième vocation, j’ai voulu travailler pour concrétiser mon engagement au sein du monde ouvrier. Je voulais être cohérent avec moi-même en réalisant un acte que me dictait ma conscience et qui me rendait solidaire avec des hommes et des femmes confrontés à la condition ouvrière.

Où avez-vous travaillé ?
A Sonceboz, à l’usine SIS (Société Industrielle de Sonceboz). Une entreprise qui comptait à l’époque quelque 500 ouvriers. J’avais suivi une petite formation qui me permettait de travailler sur des perceuses ou des machines destinées à l’alésage et au taraudage.

Qu’avez-vous découvert dans cette usine ?
J’ai découvert les limites d’être militant. Avant, je mesurais mal ce que signifiait s’engager pour une cause après une journée de travail. En même temps,

Comment évaluez-vous la position de l’Eglise face au monde du travail ?
L’Eglise a de la peine à sortir de sa sacristie. Elle investit énormément pour soigner son image : liturgie, pèlerinages, etc. C’est encore une Eglise qui attend les gens sur le parvis mais qui ne va pas à leur rencontre.

Extrait de l’interview paru dans L’Evénement syndical, mai 2004.

 

 

Rouge de colère, elle refuse le 1er prix : une montre d’homme !!!

Marcelle Monnet-Terrettaz a présidé le Grand Conseil valaisan en 2013-2014. Elle a été la première femme valaisanne à obtenir un CFC de peintre en bâtiment. Je l’avais interviewée chez elle en 2004 à Riddes.

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Photo AC

Marcelle Monnet-Terrettaz habite à Riddes avec son mari Jean-Maximin. Le couple a une fille et un fils. Tous les deux effectuent des études universitaires. Si la députée socialiste réussit avec brio son parcours de militante, elle n’oublie pas qu’elle a commencé tout en bas de l’échelle. «Nous étions une famille de 14 frères et sœurs. J’étais la treizième. Ma mère est devenue veuve quand j’avais 6 ans. Nous habitions à Fully. A la fin de ma scolarité obligatoire, mon institutrice souhaitait que je continue mes études au collège de Saint-Maurice. Ma mère n’avait pas de quoi me payer les déplacements. Lorsqu’il a fallu choisir un métier, j’ai cherché quelque chose sur place. Je ne me voyais pas dans un bureau. J’étais un peu sauvage. J’ai choisi de faire peintre en bâtiment. A Fully, j’ai trouvé un patron qui a été d’accord de me former. Mais nous avons dû attendre une autorisation du Conseil d’Etat pour que moi, parce que j’étais une fille, je puisse suivre les cours professionnels à Sion avec des garçons, aussi apprentis peintres en bâtiment comme moi. »

Dans ce milieu masculin, Marcelle Monnet-Terrettaz ne se laisse pas impressionner. Un jour, lors d’un cours d’instruction civique, elle déclare tout de go à son professeur « que le seul avantage qu’offre le droit matrimonial aux femmes, c’est la rente de veuve ». Stupeur dans la classe !

Au terme de son apprentissage, elle est sortie première de sa volée. Comme prix, on a voulu lui offrir une montre. « Je l’ai refusée. C’était une montre d’homme. Ce manque d’égard de la part des responsables cantonaux de notre apprentissage m’a rendue furax. »

Extrait de l’article paru dans L’Evénement syndical, avril 2004.