J’ai mal à mon travail

Le 10 février 2004 a eu lieu à Lausanne un colloque sur le thème « Evolution du monde du travail et pathologies émergentes » mis sur pied par l’Institut universitaire romand de santé au travail. Le travail c’est la santé chantait Henri Salvador. Mon œil ! Le nombre de personnes abîmées par le travail qui ont recours à l’assurance invalidité prend l’ascenseur. Une étude du Seco évalue le coût du stress en Suisse à 4 milliards par année.

Pour Philippe Zarifian, professeur de sociologie à l’Université de Marne-la-Vallée, le monde du travail est en train de passer du contrôle disciplinaire à des contrôles très pernicieux de la rentabilité. Respecter les horaires, bien effectuer sa tâche (si possible très vite) étaient les qualités – la discipline – que l’on attendait d’un honnête travailleur. « Aujourd’hui, ce modèle disciplinaire est moribond » estime Philippe Zarifian. La flexibilité est passée par là. Pour le sociologue français, le contrôle disciplinaire a été remplacé par le contrôle des résultats. « Les travailleurs, les employés, sont pris en sandwich entre les objectifs et les résultats. Ils savent très bien qu’à un moment donné, ils auront des comptes à rendre. Cette préoccupation occupe les esprits. Par le développement des moyens de communication, ils savent que leur hiérarchie capte énormément d’informations. Cette pression, ce stress, sont d’autant plus forts que les résultats sont rarement négociés. « L’engagement professionnel est réduit à des chiffres qui correspondent aux attentes de la direction. » Philippe Zarifian a conclu son intervention par ce constat cinglant : « Avec ce système, le souci du client est occulté. Il n’y a plus de professionnalisme. La rentabilité est devenue le nouvel imaginaire. »

Les dégâts des normes marchandes
Le professeur de médecine de l’Université de Lyon 1, Philippe Davezie, a livré un constat identique lors de cette journée d’étude. « Sous la pression de la rentabilité, les contrôles se sont resserrés. » Philippe Davezie pousse plus loin son analyse. « Les salariés se reconnaissent de moins en moins dans la qualité du travail effectué. Ils sont pris par l’urgence. L’activité est focalisée uniquement sur des clients rentables. Ils ont le sentiment de faire du mauvais travail. » En scrutant « l’âme des ouvriers, Philippe Davezie constate les dégâts causés par les normes marchandes. « Faire du mauvais travail, c’est humainement indigne. La perte de capacité de pouvoir agir déstabilise. Pas étonnant que de plus en plus de salariés pètent les plombs. »

Manque de réactions collectives
Pour Philippe Davezie, face à ces salariés qui ont pété les plombs, la médecine du travail ne peut se borner qu’à apporter des réponses individuelles, au cas par cas. « Nous aidons nos patients à reconquérir le goût de parler. Il faut que les gens redécouvrent leur capacité de communiquer dans leur atelier, leur bureau. Qu’ils osent aller vers leur chef. Il n’y a pas assez de syndicalistes ! »

Extrait de l’article paru dans L’Evénement syndical, mars 2004.

 

 

 

« Si on décide de faire une grève, c’est pour gagner ! »

Vincent Leggiero, mécanicien, classe 1962, travaille dans les ateliers des Transports publics genevois (TPG). Il préside la section locale du Syndicat du personnel des transports SEV. Leader charismatique, il ne craint pas la confrontation, ni avec son employeur ni avec ses collègues. Son objectif est simple : la justice sociale à fond.

Vincent
Photo AC

« Je considère le SEV comme mon syndicat. Une organisation que je construis, défends et utilise. Si je devais penser que mon syndicat fait fausse route, c’est de manière interne que je chercherai à résoudre le problème, quitte à créer des rapports de force. S’il faut se battre, c’est sur des positions que je me battrais et non contre des personnes. » Instigateur de plusieurs épreuves de force contre la direction de son entreprise, menées souvent avec succès, il livre la recette de sa méthode : « On ne fait pas une grève pour le plaisir de faire la grève. Quand on décide de faire la grève c’est pour gagner ! »

D’où vient cette détermination de Vincent Leggiero ? Originaire de Caserte (Italie), sa famille a émigré à Genève lorsqu’il était âgé d’à peine 3 ans. Son père était nettoyeur. « Quand on a été parqué toute son enfance dans une baraque, sans douche, il y a quelque chose qui reste, quelque chose qui ressemble à une colère intérieure. Je me suis syndiqué à l’âge de 15 ans à la FTMH, dès que j’avais commencé mon apprentissage de mécanicien auto. Depuis je n’ai pas arrêté. J’ai toujours été actif dans le mouvement ouvrier. Je suis un trotskiste, je ne m’en cache pas. »

 

« Je ne comprends pas les gens qui tirent la gueule déjà tôt le matin ! »

Wicky
Photo A. Egger

Violette Wicky, 57 ans, travaille depuis plus de 20 ans aux CFF comme cuisinière d’équipe dans un wagon. Elle réside à Monthey (VS). Elle est membre de la commission féminine du Syndicat du personnel des transports SEV. Ses loisirs ? Le tricot et la Playstation !

Est-ce que les cheminots ont un gros appétit ?
Ce ne sont plus les gros mangeurs d’autrefois. Ils font davantage attention à leur ligne comme moi… (grand éclat de rire).

Est-tu toujours de si bonne humeur ?
Je ne comprends pas les gens qui tirent la gueule déjà tôt le matin. C’est fou ce qu’il y a de potus sur terre. Même si on a des bobos, faut être content de pouvoir se lever.

Et toi, as-tu des bobos ?
J’ai plein de rhumatismes. Que veux-tu, c’est la jeunesse qui fout le camp et la vieillesse qui me rattrape (nouvel éclat de rire)… Mon toubib m’a dit que mon rire est mon meilleur médicament. On n’a pas l’âge qu’on a, mais l’âge qu’on se donne.

Que fais-tu durant tes loisirs ?
Mon hobby préféré, c’est jouer au Game Boy ou la Playstation. Je suis une enragée de jeux électroniques. J’aime les jeux de stratégie. Mais attention, j’ai aussi des loisirs plus compatibles avec ma génération comme le tricot et les puzzles.

Comment se déroulent tes journées de travail ?
Je me lève tous les matins à 5h30. Je dois marcher 20 minutes à pied jusqu’à la gare de Monthey. A 8h j’arrive à Lausanne. Je fais mes courses à la Migros et je commence à préparer le repas de midi dans mon wagon. Une fois que j’ai tout rangé, je quitte le wagon vers 14 ou 15 heures. Ensuite je vais faire des nettoyages dans une école lausannoise. Le soir, je ne suis jamais chez moi avant 20 heures.

Pourquoi faire encore des nettoyages après avoir cuisiné pour les cheminots ?
Je travaille aux CFF à 80%. A Monthey, j’ai racheté l’appartement de mon frère jumeau qui est décédé. Je suis divorcée sans enfants. Je vis seule, mais avec ce que je gagne aux CFF, je n’ai pas assez pour vivre. C’est certain que si j’avais épousé un beau millionnaire aux yeux bleus, il m’interdirait de faire des nettoyages.

Comment juges-tu le travail du syndicat ?
Le SEV fait du bon boulot. Parfois, j’entends des collègues qui critiquent le syndicat par derrière. Mais ils ne vont même pas aux assemblées pour s’informer et pour donner leur avis. Quand on fait partie d’un syndicat, on devrait avant tout être solidaires avec ses collègues. Nous avons tous besoin des autres pour vivre. T’es pas d’accord ?

Article paru dans travail & transport, septembre 2002.

 

 

L’œil américain de Vasco Pedrina

Durant le deuxième semestre 2001, Vasco Pedrina, alors président du Syndicat de l’industrie et du bâtiment (SIB), avait pris un congé sabbatique de cinq mois. Lors de l’attaque du 11 septembre, il se trouvait dans une école de langue à New York . Fin novembre 2001, alors que les décombres des Twin Towers étaient encore fumants, je l’ai l’interviewé à Manhattan.

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Photo AC

Comment les syndicats américains ont-ils réagi face aux attentats du 11 septembre et l’entrée en guerre des Etats-Unis en Afghanistan ?
Il faut savoir qu’il y a eu plus de mille collègues syndiqués qui ont péri dans les attentats du 11 septembre. Dans les tours du World Trade Center, 343 pompiers sont morts. Les pompiers forment à New York une corporation qui connaît un fort taux de syndicalisation. Les syndicats américains ont donc pris très nettement position en faveur des attaques en Afghanistan. Pour eux, cette guerre est indispensable pour répondre aux actes terroristes qui ont profondément ébranlé la base syndicale américaine.

Quel impact a eu le 11 septembre sur les travailleurs new-yorkais ?
Du 11 septembre 2011 à fin octobre, soit en à peine 50 jours, quelque 80’000 newyorkais ont perdu leur travail. Le 70% d’entre eux ne reçoivent rien de l’assurance chômage parce qu’ils avaient un emploi précaire et le 30% reçoivent environ 1000 dollars par mois et ceci durant 6 mois, pas un mois de plus ! Le New York Times vient de titrer un article « Hunger Emergency in New York » où l’on apprend qu’un million de personnes vivant dans la Grande Pomme auront recours cet hiver aux repas distribués par des associations humanitaires.

Cela paraît invraisemblable que tout cela se passe dans la plus grande ville de la première puissance mondiale !
Pour moi, la morale de cette histoire est que, quand je rentrerai en Suisse, je vais dire à mes camarades, avec encore plus de véhémence, qu’il faut tout faire pour préserver nos acquis sociaux. Que c’est important de maintenir les infrastructures de services publics. Nous devons contrer par tous les moyens possibles les dérives néolibérales.

Extrait de l’interview parue dans L’Evénement syndical, décembre 2001.

 

 

« Non, mais c’est quoi cette manigance ? »

Benito
Photo AC

Benito Luciani est né en 1941 dans les Abruzzes. Ses parents lui donnent le prénom Benito, comme Mussolini, histoire d’empocher en contrepartie 200 lires pour la gloire du régime fasciste. Mais le petit Benito Luciani a très tôt milité contre l’injustice. Enfant, il se promenait crânement avec L’Unità sous le bras : « Les bonnes sœurs interdisaient aux autres enfants de me fréquenter, elles disaient que j’étais l’incarnation du mal. » Arrivé en Suisse dans les années 50, il travaille chez Dubied à Couvet, puis chez Suchard à Serrières. Deux entreprises qu’il a dû quitter parce qu’elles ont mis la clé sous le paillasson. Depuis 11 ans il travaille comme concierge à la gare de Neuchâtel. Voulant réorganiser leurs services, les CFF ont demandé à leur personnel de repostuler. Benito Luciani trouve la démarche perverse : « Quand je leur ai demandé pourquoi l’on devait repostuler, ils m’ont répondu « pour que tout le monde ait les mêmes chances » ! Non, mais c’est quoi cette manigance ? Ce système est pervers. Il affaiblit les plus faibles ! »

Après la chute du mur de Berlin, son supérieur lui demande s’il reste toujours communiste. « Je lui ai répondu que je ne suis pas communiste à cause de Moscou ou de Pékin, mais à cause de la misère. »

Extrait de l’article paru dans travail & transport, janvier 2000.

 

 

 

 

 

 

 

Yvette Jaggi : « Il est difficile de défendre les intérêts des Romands au sein des CFF »

L’ancienne syndique de Lausanne Yvette Jaggi représente les intérêts des travailleuses et travailleurs au sein du Conseil d’administration des CFF.

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Quelles priorités vous êtes-vous fixées en entrant au sein du conseil d’administration ?
Je considère que je représente, par ordre de priorité : 1) les collègues, tout le personnel ; 2) les femmes employées et clientes ; 3) la Suisse romande. Il n’est pas aisé de défendre les intérêts du personnel à 2 contre 7 (au sein du Conseil d’administration des CFF, Yvette Jaggi représente le personnel avec le secrétaire syndical bernois Hans Bieri, ndlr) . Il faut chercher des alliances. Le plus difficile, aussi paradoxal que cela puisse paraître, c’est incontestablement la défense de la Suisse francophone. Tout ce qui est publié par les CFF est traduit et même bien traduit. Mais ils font cet exercice uniquement lorsqu’il s’agit d’un papier largement distribué. Les documents de travail et les discussions sont le plus souvent en allemand. Ils ne s’imaginent pas que cela puisse causer un problème. Dans ce sens-là, entre la défense des collègues, des femmes et de la Romandie, c’est la Romandie qui est le plus difficile. Les Germanophones dominent les CFF, comme ils dominent les syndicats d’ailleurs.

Question extraite de l’interview publiée dans travail & transport, décembre 1999.

Angèle Stalder ou la vie est un cadeau

AngèlePhoto Alberto Cherubini

« A l’usine on sait pertinemment qu’on s’use à force de travailler. Ça nous rend vraiment petits, parce qu’on sort de là tellement fatigués et vidés. Et il n’y a qu’à voir par exemple la participation minime des travailleurs aux affaires publiques et au syndicat aussi. Le soir on est tellement vidés que ressortir de chez soi c’est quelque chose qu’on ne peut pas demander à chacun. Tout le monde n’a pas la même capacité de force et santé. C’est ça vraiment la pauvreté des travailleurs. On se sent petits, minus, rien du tout. »
Assise derrière sa machine à coudre, Angèle Stalder, alors âgée de 64 ans, s’exprime ainsi devant la caméra de la cinéaste et ethnologue Jacqueline Veuve dans son documentaire réalisé en 1978.

« Ma mère m’a dit que je finirai en prison »
Nous avons rencontré Angèle Stalder en décembre 1993 à Fribourg à l’occasion de ses 80 ans. Ensemble nous avons revu le film que Jacqueline Veuve lui a consacré 15 ans plus tôt. Ensuite, autour d’une bonne Cardinal, nous avons parlé. Le socialisme de son père et la foi catholique de sa mère ont créé le terrain fertile pour qu’Angèle s’engage dans la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) puis dans l’Action catholique ouvrière (ACO). Angèle dit ce qu’elle pense et supporte mal la passivité. Syndicaliste et membre de la commission ouvrière, elle se souvient de son engagement syndical au sein de la fabrique de chocolat Villars : « Ma mère m’a dit que je finirai en prison. A l’époque c’était rare de dire quelque chose aux patrons, surtout pour une femme. » Côté conviction religieuse, elle est on ne peut plus claire et concrète : « La foi c’est ce qu’on vit tous les jours avec les autres. Le commandement de Dieu c’est quoi ? Aimer son prochain comme soi-même. C’est pas compliqué ! »

« Les gosses ont besoin d’exemples »
Angèle Stalder n’a pas été épargnée par les épreuves. Son père s’est suicidé lorsqu’elle était adolescente. Elle a dû entrer prématurément dans le monde du travail et aider sa mère à élever ses quatre frères et sœurs. Après 37 ans de travail en usine, célibataire, ne pouvant se déplacer que très difficilement à cause d’une maladie osseuse, elle s’est mise à gagner sa vie en effectuant des travaux de couture chez elle : « Ce n’était pas exactement ce que j’aurais voulu faire, mais enfin. Je n’ai pas eu le choix, j’aurais tellement aimé conduire un train. » Dès ses 50 ans elle a dû apprendre à vivre avec des cannes « tributaire d’une société qui n’a rien pensé pour les handicapés. » Grande lectrice, Angèle Stalder, parfaitement bilingue français-allemand, s’intéresse à l’actualité politique et sociale, à l’éducation surtout : « Si les enfants sont trop gâtés, ils n’auront aucune résistance devant les difficultés. Les gosses ont besoin d’exemples. Si vous n’avez rien dedans, pas de vie intérieure, comment voulez-vous assumer votre vie extérieure ? »

Témoignage fort et lucide
Dans le cadre des cours de formation de ses militants, le syndicat FCTA (Fédération suisse des travailleurs du commerce, des transports et de la communication) diffuse chaque année le film de Jacqueline Veuve. Et chaque fois la force et la lucidité du témoignage d’Angèle Stalder font mouche auprès des syndicalistes. Tout au début du documentaire, au détour d’une phrase, Angèle Stalder donne malgré elle une explication au titre que la cinéaste a donné au film : « Tous les matins je me dis, Seigneur tu me donnes un jour, alors il faut en faire quelque chose. Donc moi je trouve que chaque jour est un cadeau. »

Texte paru dans Solidarité, décembre 1993.

Le film de Jacqueline Veuve :
https://edu.ge.ch/site/archiprod/1978-t1047-veuvejacqueline-angelestalder-betasp-1280×720/

Le rouet de la liberté et de la solidarité

Pierre Bortis, 74 ans, syndiqué de longue date, santé amoindrie par une vie de travail et de souffrances. Orphelin à 5 ans, il a grandi dans un orphelinat. Mobilisé durant la Seconde guerre mondiale, il attrape une ulcère à l’estomac. Quelques mois à peine après son mariage son épouse décède… Il gagne sa vie comme magasinier à la Coop. Victime de deux infarctus, il est contraint de prendre une retraite anticipée à l’âge de 60 ans. Il s’est mis à fabriquer des objets avec des mini pinces à linge en bois « pour distraire mon cerveau ». Il offre les objets qu’il construit avec grande patience à la tombola du Groupement des invalides lausannois.

Rouet
Au terme de l’interview qu’il m’avait accordée, Pierre Bortis m’a offert ce rouet miniature, objet qui est toujours resté en ma possession. C’était ma première interview pour la presse syndicale. Le rouet de Gandhi a symbolisé la lutte pour la liberté et l’indépendance de l’Inde. Le rouet en mini pinces à linge en bois de Pierre Bortis symbolise encore aujourd’hui, à mes yeux, l’attachement des personnes à leur syndicat ne serait-ce qu’en payant leur cotisation. Une solidarité humble qui croit qu’un monde plus équitable est possible.

Extrait de l’article paru dans Solidarité, décembre 1988.

Avenches se livre

En 2015 la ville d’Avenches a célébré ses 2000 ans. A cette occasion, la Municipalité m’a mandaté pour rédiger un livre qui soit le reflet vivant de l’Avenches d’aujourd’hui. J’ai interviewé quelque 80 personnes qui sont – ou qui ont été – impliquées dans la vie économique et associative de l’ancienne capitale de l’Helvétie romaine. Richement illustré, cet ouvrage de 168 pages, imprimé à 5000 exemplaires, est composé de 6 chapitres : Le territoire – Les activités économiques – La vie associative – Avenches, capitale suisse du cheval – Les grands festivals d’été – Avenches et son histoire. Ainsi donc, par les témoignages de personnalités locales, Avenches se livre.

Les clandestins traqués comme le gibier

Comme le gibier, les clandestins possèdent un instinct de survie qui les conduit à mener une existence cachée. On ne les voit pas, pourtant ils sont parmi nous. Parfois, sur une simple dénonciation, une battue révèle l’ampleur du phénomène. Pourtant, comme le gibier, les clandestins participent à l’équilibre du biotope économique.

Dans ce mémoire, que j’ai présente en juillet 1996 au Département de sociologie de l’Université de Genève, je dénonce l’hypocrisie qui règne autour des clandestins : d’une part des secteurs économiques entiers (hôtellerie-restauration, viticulture, agriculture, bâtiment) emploient et exploitent à large échelle des clandestins, d’autre part ces derniers n’ont pas droit à un minimum de protection sociale. En 1996 déjà, le phénomène de la clandestinité mettait en évidence la contradiction entre une économie mondialisée et des nationalismes qui se rigidifient.