Alain Berset : « Dans le débat sur les retraites, il faut dépasser la confrontation ! »

Berset
Photo Unia

Vous proposez de réformer conjointement l’AVS et le 2e pilier. Ne prenez-vous pas le risque de démanteler les assurances sociales ?
Au contraire : seule une réforme globale des 1er et 2e piliers va permettre d’améliorer la transparence et donc la confiance et de maintenir le niveau de prestations. Les deux piliers ont fondamentalement le même problème. A moyen et long terme ils ne sont pas suffisamment financés. Pour le Conseil fédéral, un démantèlement des assurances sociales est exclu. Pour les rentes de l’assurance vieillesse obligatoire, aucune baisse n’est envisagée. Le niveau actuel des rentes doit être maintenu.

L’AVS comporte une forte composante de solidarité. Les actifs sont toujours davantage sollicités pour financer les rentiers, sans savoir s’ils bénéficieront de bonnes prestations lorsqu’ils seront retraités. Le système a-t-il atteint ses limites ?
C’est justement pour cette raison que nous avons besoin d’une réforme. Il faut restaurer la confiance des citoyennes et des citoyens, en particulier des jeunes générations. L’AVS repose sur un contrat qui lie les générations. Elle a été créée en 1948 mais a ensuite toujours été adaptée.

Est-ce judicieux de vouloir hausser l’âge de retraite des femmes à 65 ans, comme les hommes, alors que les femmes gagnent en moyenne 18% de moins que les hommes ?
L’égalité salariale n’est effectivement pas encore atteinte en Suisse et il faut que cela change. La prévoyance vieillesse ne doit cependant pas servir à ça en premier lieu. L’objectif est de maintenir le niveau de prestations, ce qui est déjà difficile.

Pour défendre votre projet de « Réforme de la prévoyance vieillesse 2020 » vous allez au-devant d’une confrontation avec la gauche. Cela ne vous embarrasse pas ?
N’oublions pas que la réforme est perçue du côté bourgeois de manière au moins aussi critique… Il faut dépasser la confrontation et instaurer un débat politique nécessaire dans l’optique d’une prévoyance vieillesse sûre et solidaire.

Extrait de l’interview d’Alain Berset, conseiller fédéral, au sujet de la Réforme de la prévoyance vieillesse 2020, contact.sev, octobre 2013.

Pour Dominique Biedermann, la rentabilité ne doit pas être l’unique critère pour le placement des capitaux

Directeur de la Fondation Ethos jusqu’en juin 2015, Dominique Biedermann a appelé les caisses de pension à faire face à leurs responsabilités en matière de placement des capitaux.

ethos-direktor-dominique-biedermann-ist-fuer-den-gegenvorschlag-zur-abzocker-initiative-archiv
Photo Ethos

De nombreuses caisses de pension sont en sous-couverture, les assurés actifs doivent payer des cotisations d’assainissement, les retraités voient leurs rentes stagner. Pour tous ces assurés, le placement éthique des capitaux du deuxième pilier n’est certainement pas le premier de leurs soucis…
L’investissement socialement responsable est totalement compatible avec une bonne rentabilité financière. Mais cette rentabilité ne doit pas être l’unique critère en matière de placement des capitaux.

Quels sont les autres critères dont il faut tenir compte ?
Aux membres d’Ethos nous proposons, au nom de l’investissement socialement responsable, de placer les capitaux dans des entreprises cotées en bourse qui s’engagent pour un management qui ne tienne pas uniquement compte des paramètres financiers, mais également sociaux, environnementaux et de gouvernance d’entreprise.

Comment vous vous y prenez pour atteindre vos objectifs ?
Les caisses de pension sont amenées à investir leurs capitaux dans trois catégories de placement : l’immobilier, les obligations et les actions. Ethos conseille les caisses de pension essentiellement au niveau des placements en actions. En achetant des actions d’une entreprise, les caisses de pension deviennent automatiquement actionnaires de cette entreprise. Ethos peut alors les assister dans l’exercice de leurs droits d’actionnaires que ce soit dans l’exercice des droits de vote ou dans le cadre d’un dialogue discret avec le management. Dans ce dernier cas, nous faisons valoir nos droits relatifs à la gouvernance de l’entreprise, ainsi qu’à sa politique environnementale et sociale.

Extrait de l’interview parue dans contact.sev, mai 2012.

 

 

 

Yves Rossier : « C’est le travail qui fait la richesse de notre système social »

Yves Rossier, alors directeur de l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS), m’avait reçu dans son bureau début 2011. Interrogé sur les assurances sociales, l’homme s’est exprimé à la vitesse d’un TGV… Voie 1, attention, départ !

 Yves_Rossier
Yves Rossier. Photo PressClub


N’avez-vous pas l’impression que le 2e pilier ressemble à un casino plutôt qu’à un système de solidarités. Certains financiers jouent et gagnent gros avec le marché des capitaux, tandis que les employés cotisent et y laissent des plumes ?
Qualifier le 2e pilier de casino c’est un slogan. La situation actuelle se résume aux difficultés que nous rencontrons pour financer les prestations. Le Conseil fédéral et le Parlement avaient proposé d’abaisser le taux de conversion. Une solution refusée en votation populaire le 7 mars 2010. Il faudra trouver des solutions ailleurs. Mais si en parlant de casino vous pensez au frais administratifs des caisses de pensions, sachez que ces frais sont très faibles par rapport aux besoins d’argent. A l’OFAS, actuellement, nous préparons un rapport pour le Conseil fédéral dans lequel nous allons proposer des mesures pour améliorer la situation de notre prévoyance professionnelle. Parmi ces mesures, il y aura un point concernant les frais administratifs des caisses de pension.

Et sur le front de l’AVS, où en est-on ?
Le problème du financement de l’AVS est différent de celui des caisses de pension. La santé financière de l’AVS est garantie jusqu’en 2021. Mais après, quoi qu’il arrive, nous aurons besoin d’un financement accru. La 11e révision étant passée à la trappe l’automne dernier au Parlement, le conseiller fédéral Didier Burkhalter souhaite réunir en un premier temps dans un acte législatif les adaptations techniques qui n’ont pas été contestées. Ensuite le Département fédéral de l’intérieur élaborera un projet de révision qui sera soumis aux Parlement lors de la prochaine législature.

Pourquoi après 2021 l’AVS aura besoin d’un financement accru ?
Parce que nous nous trouverons face à un cumul de deux problèmes : on vit plus longtemps et le gros de la génération du baby-boom sera à la retraite. Vivre plus longtemps en soi c’est plutôt bien, le contraire, comme cela se passe en Russie ou en Afrique du Sud, serait désastreux pour la Suisse. Le baby-boom – les naissances entre 1945 et 1965 – est l’explosion démographique la plus forte de toute l’histoire de l’humanité. Donc nous vivons plus longtemps et celles et ceux qui arrivent à la retraite maintenant sont et seront de plus en plus nombreux.

Quelles pistes préconisez-vous pour garantir le financement de l’AVS qui sera rendu problématique par le vieillissement de la population ?
Même si les Suisses se mettaient dès cette année à faire plein d’enfants cela ne changerait rien au moins durant les vingt-cinq prochaines années. L’AVS est financée par le travail des gens. C’est le travail qui fait la richesse de notre système social. Les travailleurs immigrés, notamment ceux qui sont arrivés en Suisse depuis l’Accord bilatéral sur la libre circulation des personnes, contribuent à alimenter les caisses de l’AVS. Cela se chiffre en milliards les sommes que nous avons encaissées dans les assurances sociales grâce aux cotisations de ces nouveaux travailleurs migrants. Les femmes, de plus en plus nombreuses sur le marché du travail, contribuent également à financer notre système social. Et il y a également de plus en plus de jeunes retraités qui travaillent entre 65 et 70 ans. Plus il y a de gens qui travaillent dans notre pays, mieux se portera le système social.

Quelle est votre définition de la solidarité ?
Quand vous payez vos cotisations à un syndicat, vous n’allez pas vous demander si cette année vous avez tiré autant de prestations du syndicat que j’ai payé de cotisations. Et bien il en va de même pour l’Etat social. Une solidarité à laquelle je ne suis pas disposé à apporter ma contribution, ce n’est pas de la solidarité. C’est du self-service. La solidarité ce n’est de demander aux autres de nous donner des sous. La solidarité ce n’est pas Mère Térésa. La solidarité c’est de se rendre compte que si l’on se met à plusieurs pour régler un problème, on le règle mieux que si on le règle tout seul.

Extrait de l’interview publiée dans contact.sev, février 2011.

 

 

 

 

 

Christian Levrat: « Nous devons être offensifs »

Christian Levrat, président du Parti socialiste suisse, évoquait début 2010 quelques sujets d’actualité relatifs aux assurances sociales.

levrat
Christian Levrat. Photo DR

 

Le 7 mars prochain nous voterons sur la baisse du taux de conversion du 2e pilier. Quel est votre argument No 1 pour dire non à cette baisse ?
Nous menons un référendum contre les assureurs. Le calcul des bourgeois est clair : ils veulent baisser les rentes pour garantir le bénéfice des grandes sociétés d’assurances, prendre des milliers de francs aux retraités pour les redistribuer aux managers et aux actionnaires. Savez-vous, par exemple, que le directeur de la Bâloise gagne plus de 6 millions de francs par année? Ou que les 11 dirigeants de Swiss Life se partagent 57 millions ? S’il y a des économies à faire, c’est avant tout sur ces salaires et sur les frais administratifs. Dans une assurance, la gestion du 2e pilier coûte 770 francs par assuré et par année. A l’AVS, moins de 30 francs.

Les attaques contre les assurances sociales se multiplient. Quelle est la stratégie du Parti socialiste suisse pour contrer ce démantèlement ?
La droite a l’air décidée de passer en force. Nous devons résister et ne pas hésiter à en appeler au peuple si nécessaire. Je suis sûr que les gens nous suivrons. Cependant, il ne faut pas se limiter à des combats défensifs. Il faut essayer de faire bouger les choses dans notre direction, en lançant par exemple des initiatives populaires ciblées. C’est pourquoi, avec les syndicats, nous étudions le lancement d’une initiative pour des salaires minimaux. Ou d’une initiative pour créer de nouveaux emplois grâce aux énergies renouvelables. Et nous travaillons également pour une caisse de maladie publique. Au démantèlement voulu par la droite doit répondre une stratégie offensive de la gauche.

Est-il judicieux de remettre sur le tapis une nouvelle initiative sur la caisse de maladie unique?
C’est la seule solution. Pour enterrer notre première initiative, Pascal Couchepin avait promis que les hausses de primes seraient modérées. On a vu cet automne qu’elles ont augmenté de presque 10% en moyenne, jusqu’à 20% dans certains cantons. Et l’année prochaine ne s’annonce pas meilleure. En fait, une caisse maladie unique permettrait de garantir un pilotage public du système de santé. Nous travaillons actuellement à une nouvelle proposition dans ce sens. Sur le modèle de l’AVS ou de la Suva par exemple.

 

Extrait de l’interview parue dans contact.sev, février 2010.

 

 

 

 

J’ai mal à mon travail

Le 10 février 2004 a eu lieu à Lausanne un colloque sur le thème « Evolution du monde du travail et pathologies émergentes » mis sur pied par l’Institut universitaire romand de santé au travail. Le travail c’est la santé chantait Henri Salvador. Mon œil ! Le nombre de personnes abîmées par le travail qui ont recours à l’assurance invalidité prend l’ascenseur. Une étude du Seco évalue le coût du stress en Suisse à 4 milliards par année.

Pour Philippe Zarifian, professeur de sociologie à l’Université de Marne-la-Vallée, le monde du travail est en train de passer du contrôle disciplinaire à des contrôles très pernicieux de la rentabilité. Respecter les horaires, bien effectuer sa tâche (si possible très vite) étaient les qualités – la discipline – que l’on attendait d’un honnête travailleur. « Aujourd’hui, ce modèle disciplinaire est moribond » estime Philippe Zarifian. La flexibilité est passée par là. Pour le sociologue français, le contrôle disciplinaire a été remplacé par le contrôle des résultats. « Les travailleurs, les employés, sont pris en sandwich entre les objectifs et les résultats. Ils savent très bien qu’à un moment donné, ils auront des comptes à rendre. Cette préoccupation occupe les esprits. Par le développement des moyens de communication, ils savent que leur hiérarchie capte énormément d’informations. Cette pression, ce stress, sont d’autant plus forts que les résultats sont rarement négociés. « L’engagement professionnel est réduit à des chiffres qui correspondent aux attentes de la direction. » Philippe Zarifian a conclu son intervention par ce constat cinglant : « Avec ce système, le souci du client est occulté. Il n’y a plus de professionnalisme. La rentabilité est devenue le nouvel imaginaire. »

Les dégâts des normes marchandes
Le professeur de médecine de l’Université de Lyon 1, Philippe Davezie, a livré un constat identique lors de cette journée d’étude. « Sous la pression de la rentabilité, les contrôles se sont resserrés. » Philippe Davezie pousse plus loin son analyse. « Les salariés se reconnaissent de moins en moins dans la qualité du travail effectué. Ils sont pris par l’urgence. L’activité est focalisée uniquement sur des clients rentables. Ils ont le sentiment de faire du mauvais travail. » En scrutant « l’âme des ouvriers, Philippe Davezie constate les dégâts causés par les normes marchandes. « Faire du mauvais travail, c’est humainement indigne. La perte de capacité de pouvoir agir déstabilise. Pas étonnant que de plus en plus de salariés pètent les plombs. »

Manque de réactions collectives
Pour Philippe Davezie, face à ces salariés qui ont pété les plombs, la médecine du travail ne peut se borner qu’à apporter des réponses individuelles, au cas par cas. « Nous aidons nos patients à reconquérir le goût de parler. Il faut que les gens redécouvrent leur capacité de communiquer dans leur atelier, leur bureau. Qu’ils osent aller vers leur chef. Il n’y a pas assez de syndicalistes ! »

Extrait de l’article paru dans L’Evénement syndical, mars 2004.