Un Afghan au volant des bus lausannois

Mudeerkhan Abash Khel est conducteur de bus aux Transports publics de la région lausannoise (TL). Il est membre du syndicat du personnel des transports SEV.

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Mudeerkhan Abash Khel à Lausanne, au volant d’un bus TL. Photo AC

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Mudeerkhan Abash Khel sur ses terres, pose fièrement avec son fusils entre deux amis. Il a quitté son pays à l’âge de 24 ans. Il a toujours vécu dans sa province de Khost, une zone tribale où dès l’âge de 14 ans les adolescents se déplacent généralement armés. Photo DR

 

« Le premier son que l’on fait entendre à un nouveau-né c’est celui d’un coup de feu. Chez nous on dit que cela le rendra courageux. » Mudeerkhan Abash Khel, 39 ans, a des allures de gentleman. Il évoque avec douceur, dans un très bon français, les mœurs guerrières de son Afghanistan natal. Cela a presque l’air de l’amuser de voir l’effet de surprise que provoque son récit dans les yeux de son interlocuteur. Alors il continue de plus belle. « Aux jeunes garçons, leur père explique qu’ils ne doivent pas se faire tuer avec une balle dans le dos, sinon ils ne seront pas enterrés. Mourir avec une balle dans le dos signifie que l’on a lâchement cherché à fuir l’ennemi. »

D’abord requérant d’asile
Mudeerkhan Abash Khel est né le 1er janvier 1966 dans la province rocailleuse de Khost, une zone tribale relativement indépendante du pouvoir de Kaboul, située à l’est du pays, limitrophe avec le Pakistan. Après son lycée, il a entrepris des études d’histoire dans la ville de Jalalabad. Des amis étaient partis en Allemagne. Il a voulu les rejoindre. « Je me sentais coincé dans mon pays. J’ai été arrêté le 26 avril 1990 à la frontière à Bâle alors que je tentais de rejoindre l’Allemagne. J’ai séjourné dans des centres d’accueil pour requérants dans les cantons de Neuchâtel et Vaud. C’est ainsi, le destin a voulu que je m’installe en Suisse. » Mudeerkhan Abash Khel décroche un premier emploi dans une ferme vaudoise. « Après une demi-journée j’avais les doigts en sang. Je n’avais jamais vraiment travaillé de ma vie. Chez moi j’étais un enfant gâté, j’étais l’aîné de 3 frères. Chez ce paysan vaudois, j’ai compris que pour gagner ma vie il fallait travailler dur. » Manœuvre chez un installateur de chauffage et ventilation, il entame une formation à la Croix-Rouge qui lui permettra de travailler durant 7 ans dans le milieu médical comme aide-soignant. Désormais en possession d’un permis d’établissement, il est entré il y a 4 ans aux Transports publics de la région lausannoise (TL).

Il rêve d’un Afghanistan pacifié
Mudeerkhan Abash Khel parle de son pays d’accueil en termes élogieux. « Je me sens très attaché à la Suisse. Je n’ai jamais été la cible de propos racistes. J’aime l’histoire suisse. » Au mois de novembre de l’année passée, il est retourné en Afghanistan. Il a expérimenté le dur dilemme des déracinés. « Quand je suis ici à Lausanne, mon pays me manque. Quand je suis arrivé là-bas, au bout de quelques jours je m’ennuyais. Il y a tellement de misère dans mon pays. » Et il y a les conflits qui perdurent. « J’aimerais que l’Afghanistan retrouve la paix, que toutes les ethnies puissent cohabiter paisiblement entre elles. »
Mudeerkhan Abash Khel apprécie les balades en montagne avec sa compagne, une Suissesse qui travaille dans l’enseignement. « Elle m’incite à découvrir ce beau pays. En contrepartie je cuisine des plats afghans. Nous avons du plaisir de recevoir des amis chez nous. » Mudeerkhan Abash Khel écoute volontiers la musique de son pays. « Avec cette musique, les beaux souvenirs de mon pays me reviennent en tête. Mais ma grande passion c’est la lecture des contes orientaux. Ils sont comme les histoires d’Harry Poter. Ils font s’envoler l’imagination. »

 Extrait de l’article paru dans L’Evénement syndical, mai 2005.

 

 

 

 

« L’homosexualité n’est pas une maladie »

Barbara Lanthemann, employée de commerce, a courageusement fait campagne en Valais pour la « Loi fédérale sur le partenariat enregistré », acceptée par les citoyens suisses le 5 juin 2005.

« Ces temps-ci, j’ai un agenda de ministre. Je cumule les rendez-vous. Heureusement que mon amie est patiente. » Barbara Lanthemann s’exprime à toute vitesse. Son verbe sûr, elle le manie avec passion pour promouvoir la Loi sur le partenariat enregistré pour personnes du même sexe (Lpart) qui sera soumise au référendum le 5 juin prochain. « C’est la première fois que je milite publiquement pour une cause. Ce qui me touche le plus dans cette campagne, c’est de voir des hommes et des femmes militer pour le partenariat enregistré alors qu’ils ou elles ne sont pas directement concernés par cette loi. Les combats gratuits sont les plus beaux ! »

Seule en Valais
Barbara habite Grône en Valais central. Elle travaille à plein temps dans une compagnie d’assurances comme employée de commerce. Elle a grandi dans le canton de Vaud au sein d’une famille « plutôt conservatrice ». Adolescente, elle est partie vivre en Valais : « Cela fait 24 ans que j’y suis. Je ne quitterai jamais un pays aussi beau. » Même si dans son canton d’adoption le oui à la loi sur le partenariat enregistré ne semble pas acquis : « L’Eglise catholique y est opposée et le PDC ne prend pas position, ce sera dur dur. » Barbara Lanthemann sillonne le Valais, participe à des débats contradictoires, tient des stands dans des centres commerciaux, s’exprime dans les médias et devant des publics tous genres confondus. Elle est la seule personne directement concernée par cette loi sur le partenariat qui ose affronter ouvertement la presse valaisanne.

Amalgame homo-pédo
« Les gens qui sont contre la loi sur le partenariat enregistré ont tendance à nous éviter. Certains même nous insultent. Pourtant, cela fait longtemps que l’on sait que l’homosexualité n’est pas une maladie. Notre société doit enfin se regarder en face. Cette loi est faite pour des couples homosexuels qui veulent vivre une relation durable. Point. » Barbara ne comprend pas le mélange que certaines personnes font entre la loi sur le partenariat et gaypride ou travestis. Dans cette confusion, ce qui la touche le plus, c’est l’amalgame « homo-pédo ». « Il me semble que dans les milieux professionnels, il y a de moins en moins de discrimination envers les homosexuels. Sauf dans le milieu scolaire, à cause de cet incroyable et inadmissible amalgame qu’homosexuel est égal à pédophile. C’est très grave de faire croire que les lesbiennes et les gays sont nocifs pour l’enfant. Je connais des profs qui ont une peur bleue que l’on découvre leur homosexualité. Peur de la réaction des parents. Peur que les élèves fuient. »

Extrait de l’article paru dans L’Evénement syndical, mai 2005.

A fond de train avec Hirschhorn

L’artiste suisse Thomas Hirschhorn a fait en 2004 – 2005 un tabac à Paris avec son exposition « Swiss-swiss Democracy » où les références au monde ferroviaire sont nombreuses.

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« Le train est l’image du transport collectif afin de relier le monde. » Photo AC

« Swiss-swiss democracy », l’exposition de Thomas Hirschhorn au Centre culturel suisse de Paris, fermera ses portes le 30 janvier prochain. Elle a déjà pulvérisé le record de fréquentation au Centre culturel suisse de Paris avec plus de 20’000 visiteurs. L’expo a immédiatement suscité la polémique avec la question à un million : « l’art subventionné peut-il se mêler de politique ? ». Avec les Thomas, c’est toujours pareil, il faut voir pour croire. L’œuvre d’Hirschhorn est un pamphlet contre le populisme. Les collages et les slogans que l’on peut lire sur les cartons scotchés à l’intérieur du Centre culturel suisse de Paris suscitent la réflexion, remettent en cause. C’est décapant et ludique. La présence de collages de schémas du tunnel de base du Gothard et de quelques maquettes avec trains miniatures qui circulent, dévoilent l’intérêt que Thomas Hirschhorn porte au monde ferroviaire.

Que symbolise pour vous le train ?
Permettez-moi de vous répondre avec une phrase du psychanalyste français Michel Foucault. «C’est un extraordinaire faisceau de relations qu’un train, puisque c’est quelque chose à travers quoi on passe, c’est quelque chose également par quoi on peut passer d’un point à un autre et puis c’est quelque chose également qui passe. »

Quelle fonction ont les maquettes de trains dans votre exposition Swiss-swiss Democracy ?
Ce sont des maquettes (il n’y a que des maquettes des trains régionaux : RHB, BLS, etc.), donc ce sont des projets. Des projets pour relier un point à un autre. Le projet de relier le monde est là (en Suisse), mais il n’est pas réalisé, le train reste seulement à l’état d’image, d’idéal.

Les collages des schémas du tunnel de base du Gothard sont-ils là pour montrer un important aspect de la démocratie directe helvétique qui a permis aux citoyens de décider d’investir plusieurs milliards de francs pour relier de manière écologique le Nord et le Sud de l’Europe?
Les tunnels sont là (les schémas, les maquettes, les vidéos) parce qu’il n’y a pas de « génie » (suisse) de faire des tunnels. Les tunnels sont là parce qu’il y a l’obstacle naturel (la montagne) à franchir. C’est la même chose avec la démocratie. Il n’y a pas de « génie » démocratique, il n’y a pas d’idéal démocratie, il y a seulement des réalisations.

Quelle idée au juste avez-vous alors voulu véhiculer dans votre exposition avec cette présence du monde ferroviaire ?
Les trains et aussi les maquettes de trains véhiculent l’idée même de la démocratie : le collectif! Le train est l’image du transport collectif afin de relier le monde.

Au fond, votre exposition ne dénoncerait-elle pas un certain train-train helvétique ?
Je ne fais pas de jeux des mots J’aime les gens « fans du train ». J’aime les gens qui connaissent tout sur les trains, sur les lignes du train, sur les trajets, sur les maquettes du train. J’aime tous les fans.
Ce que je veux : interroger le tabou, l’idéal « démocratie », une démocratie régionale n’a aucun sens si par ailleurs au monde il n’y a pas de démocratie, la démocratie doit être une réalisation universelle. Rien n’est plus luxurieux et plus auto satisfaisant que de se dire : «je suis démocrate».

L’avant-garde artistique a une connotation élitaire. N’avez-vous pas envie d’être plus accessible envers Madame et Monsieur-tout-le-monde ?
Je ne veux pas être « accessible », faire un « travail accessible ». Je fais de l’art, je ne fais pas de la culture. Mais je veux faire un travail pour un public non-exclusif. Je veux inclure avec mon travail, je ne veux pas exclure. Je ne veux intimider personne par mon travail. Je veux me confronter avec la réalité, avec le monde dans laquelle je vis et avec le temps dans lequel je vis. Les maquettes de train, je les intègre aussi dans mon travail pour créer une fenêtre vers l’autre, pour ouvrir une porte vers l’autre, pour y inclure aussi l’admirateur de maquettes de trains.

Extrait de l’interview parue dans L’Evénement syndical, janvier 2005.

 

Micheline Calmy-Rey évoque son père syndicaliste

Cette interview a paru dans L’Evénement syndical trois jours avant la création du syndicat Unia. Micheline Calmy-Rey y évoque la figure de son père et s’est exprimée sur  la libre circulation des personnes.

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La conseillère fédérale Micheline Calmy-Rey lors de l’interview qui a eu lieu au Palais fédéral en octobre 2004. Photo Thierry Porchet

 

Votre père Charles Rey a été un militant actif au sein du syndicat des cheminots. Qu’avez-vous retenu de son engagement ?
Mon père a été membre fondateur de la section du parti socialiste de St-Maurice (Valais) et il a effectivement présidé la section des contrôleurs de trains du dépôt CFF de St-Maurice. Je retiens la sincérité dont il a fait preuve à travers ses engagements de militant. J’ai aussi retenu son attachement au service public et la nécessité de devoir s’unir pour faire valoir les droits auxquels nous croyons.

Le 16 octobre aura lieu la fondation du syndicat Unia, quel regard portez-vous sur cet événement ?
Ce nouvel Unia est un grand espoir. Un syndicat interprofessionnel permet de donner une vue générale des problèmes du monde du travail. Cela devrait permettre plus d’efficacité dans le travail des syndicats.

Qu’est-ce que ça vous fait de savoir que, par exemple, dans la vente et l’hôtellerie-restauration il y a des personnes qui gagnent moins de 3000 francs par mois ?
Je suis tout à fait consciente qu’il n’est pas possible de vivre décemment avec des salaires aussi bas. C’est certain que cela sera un des grands défis d’Unia de négocier de bonnes conventions collectives de travail dans le tertiaire et de veiller à leur application.

N’est-ce pas un constat d’échec pour vous d’apprendre que depuis l’entrée en vigueur le 1er juin de la libre circulation des personnes, il existe une pression sur les salaires ?
Il existe des mesures d’accompagnement pour l’accord sur la libre circulation des personnes. Leur but est que le salaire de l’ouvrier ressortissant d’un pays de l’Union européenne s’aligne sur celui de l’ouvrier suisse et non le contraire. Pour cela, il faut bien sûr que les commissions tripartites cantonales fonctionnent.

De nombreux syndicalistes voient dans l’extension de l’accord sur la libre circulation des personnes aux dix nouveaux Etats membres de l’Union européenne un risque accru de dumping. Ils jugent ces mesures d’accompagnement inefficaces. Que leur répondez-vous ?
Le Conseil fédéral prend très au sérieux ces inquiétudes. C’est la raison pour laquelle, dans son projet de loi sur les mesures d’accompagnement, le Conseil fédéral propose de les renforcer. Il fait des propositions dans ce sens, comme par exemple la possibilité d’étendre plus facilement le champ d’application d’une convention collective de travail. De même, le projet de loi prévoit l’engagement d’un nombre suffisant d’inspecteurs dont les salaires seront financés à hauteur de 30% par la Confédération.

Extrait de l’interview de la conseillère fédérale Micheline Calmy-Rey, parue dans L’Evénement syndical, octobre 2004.

 

 

La classe ouvrière va au paradis

Le Jurassien Pierre-Louis Wermeille a été le seul prêtre-ouvrier qu’ait connu la Suisse

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Aujord’hui, l’abbé Pierre-Louis Wermeille, 60 ans, est l’aumônier des hôpitaux et homes médicalisés du canton du Jura. Il a été ordonné prêtre en 1968. Coïncidence, la visite de Jean-Paul II en Suisse survient juste cinquante ans après l’un des épisodes les moins glorieux du Vatican : en 1954, la hiérarchie catholique demandait aux prêtres-ouvriers de quitter usines et chantiers.

« La classe ouvrière va au paradis » est l’un des films les plus emblématiques de cinéma italien, palme d’or au Festival de Cannes en 1972. Le réalisateur Elio Petri y montre l’aliénation des ouvriers qui travaillent à la chaîne, l’arrogance des patrons, les abus du pouvoir politique et s’il devait y avoir un paradis, Elio Petri est convaincu c’est la classe ouvrière qui mériterait d’y accéder en tout premier. A l’époque de la sortie du film, l’abbé Wermeille travaillait dans une usine à Soceboz. Au début de son ministère, il a participé à l’activité de la JOC (Jeunesse Ouvrière Chrétienne). De 1974 à 1978, durant quatre ans et quatre mois, il a troqué sa soutane pour travailler en usine. Ila été le seul prêtre-ouvrier qu’ait connût la Suisse. Trente ans plus tard il évoque sa singulière expérience…

Pourquoi ce choix de travailler dans une usine ?
Dès que j’ai été ordonné prêtre, j’ai voulu m’approcher du monde du travail. J’ai contacté les responsables romands de la JOC. Pour moi, qui étais issu d’un milieu rural, le monde des ouvriers, des usines, a été une découverte. Après avoir été vicaire à Porrentruy et à Tavannes, j’ai découvert cette deuxième vocation, j’ai voulu travailler pour concrétiser mon engagement au sein du monde ouvrier. Je voulais être cohérent avec moi-même en réalisant un acte que me dictait ma conscience et qui me rendait solidaire avec des hommes et des femmes confrontés à la condition ouvrière.

Où avez-vous travaillé ?
A Sonceboz, à l’usine SIS (Société Industrielle de Sonceboz). Une entreprise qui comptait à l’époque quelque 500 ouvriers. J’avais suivi une petite formation qui me permettait de travailler sur des perceuses ou des machines destinées à l’alésage et au taraudage.

Qu’avez-vous découvert dans cette usine ?
J’ai découvert les limites d’être militant. Avant, je mesurais mal ce que signifiait s’engager pour une cause après une journée de travail. En même temps,

Comment évaluez-vous la position de l’Eglise face au monde du travail ?
L’Eglise a de la peine à sortir de sa sacristie. Elle investit énormément pour soigner son image : liturgie, pèlerinages, etc. C’est encore une Eglise qui attend les gens sur le parvis mais qui ne va pas à leur rencontre.

Extrait de l’interview paru dans L’Evénement syndical, mai 2004.

 

 

Rouge de colère, elle refuse le 1er prix : une montre d’homme !!!

Marcelle Monnet-Terrettaz a présidé le Grand Conseil valaisan en 2013-2014. Elle a été la première femme valaisanne à obtenir un CFC de peintre en bâtiment. Je l’avais interviewée chez elle en 2004 à Riddes.

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Photo AC

Marcelle Monnet-Terrettaz habite à Riddes avec son mari Jean-Maximin. Le couple a une fille et un fils. Tous les deux effectuent des études universitaires. Si la députée socialiste réussit avec brio son parcours de militante, elle n’oublie pas qu’elle a commencé tout en bas de l’échelle. «Nous étions une famille de 14 frères et sœurs. J’étais la treizième. Ma mère est devenue veuve quand j’avais 6 ans. Nous habitions à Fully. A la fin de ma scolarité obligatoire, mon institutrice souhaitait que je continue mes études au collège de Saint-Maurice. Ma mère n’avait pas de quoi me payer les déplacements. Lorsqu’il a fallu choisir un métier, j’ai cherché quelque chose sur place. Je ne me voyais pas dans un bureau. J’étais un peu sauvage. J’ai choisi de faire peintre en bâtiment. A Fully, j’ai trouvé un patron qui a été d’accord de me former. Mais nous avons dû attendre une autorisation du Conseil d’Etat pour que moi, parce que j’étais une fille, je puisse suivre les cours professionnels à Sion avec des garçons, aussi apprentis peintres en bâtiment comme moi. »

Dans ce milieu masculin, Marcelle Monnet-Terrettaz ne se laisse pas impressionner. Un jour, lors d’un cours d’instruction civique, elle déclare tout de go à son professeur « que le seul avantage qu’offre le droit matrimonial aux femmes, c’est la rente de veuve ». Stupeur dans la classe !

Au terme de son apprentissage, elle est sortie première de sa volée. Comme prix, on a voulu lui offrir une montre. « Je l’ai refusée. C’était une montre d’homme. Ce manque d’égard de la part des responsables cantonaux de notre apprentissage m’a rendue furax. »

Extrait de l’article paru dans L’Evénement syndical, avril 2004.

 

J’ai mal à mon travail

Le 10 février 2004 a eu lieu à Lausanne un colloque sur le thème « Evolution du monde du travail et pathologies émergentes » mis sur pied par l’Institut universitaire romand de santé au travail. Le travail c’est la santé chantait Henri Salvador. Mon œil ! Le nombre de personnes abîmées par le travail qui ont recours à l’assurance invalidité prend l’ascenseur. Une étude du Seco évalue le coût du stress en Suisse à 4 milliards par année.

Pour Philippe Zarifian, professeur de sociologie à l’Université de Marne-la-Vallée, le monde du travail est en train de passer du contrôle disciplinaire à des contrôles très pernicieux de la rentabilité. Respecter les horaires, bien effectuer sa tâche (si possible très vite) étaient les qualités – la discipline – que l’on attendait d’un honnête travailleur. « Aujourd’hui, ce modèle disciplinaire est moribond » estime Philippe Zarifian. La flexibilité est passée par là. Pour le sociologue français, le contrôle disciplinaire a été remplacé par le contrôle des résultats. « Les travailleurs, les employés, sont pris en sandwich entre les objectifs et les résultats. Ils savent très bien qu’à un moment donné, ils auront des comptes à rendre. Cette préoccupation occupe les esprits. Par le développement des moyens de communication, ils savent que leur hiérarchie capte énormément d’informations. Cette pression, ce stress, sont d’autant plus forts que les résultats sont rarement négociés. « L’engagement professionnel est réduit à des chiffres qui correspondent aux attentes de la direction. » Philippe Zarifian a conclu son intervention par ce constat cinglant : « Avec ce système, le souci du client est occulté. Il n’y a plus de professionnalisme. La rentabilité est devenue le nouvel imaginaire. »

Les dégâts des normes marchandes
Le professeur de médecine de l’Université de Lyon 1, Philippe Davezie, a livré un constat identique lors de cette journée d’étude. « Sous la pression de la rentabilité, les contrôles se sont resserrés. » Philippe Davezie pousse plus loin son analyse. « Les salariés se reconnaissent de moins en moins dans la qualité du travail effectué. Ils sont pris par l’urgence. L’activité est focalisée uniquement sur des clients rentables. Ils ont le sentiment de faire du mauvais travail. » En scrutant « l’âme des ouvriers, Philippe Davezie constate les dégâts causés par les normes marchandes. « Faire du mauvais travail, c’est humainement indigne. La perte de capacité de pouvoir agir déstabilise. Pas étonnant que de plus en plus de salariés pètent les plombs. »

Manque de réactions collectives
Pour Philippe Davezie, face à ces salariés qui ont pété les plombs, la médecine du travail ne peut se borner qu’à apporter des réponses individuelles, au cas par cas. « Nous aidons nos patients à reconquérir le goût de parler. Il faut que les gens redécouvrent leur capacité de communiquer dans leur atelier, leur bureau. Qu’ils osent aller vers leur chef. Il n’y a pas assez de syndicalistes ! »

Extrait de l’article paru dans L’Evénement syndical, mars 2004.

 

 

 

« Si on décide de faire une grève, c’est pour gagner ! »

Vincent Leggiero, mécanicien, classe 1962, travaille dans les ateliers des Transports publics genevois (TPG). Il préside la section locale du Syndicat du personnel des transports SEV. Leader charismatique, il ne craint pas la confrontation, ni avec son employeur ni avec ses collègues. Son objectif est simple : la justice sociale à fond.

Vincent
Photo AC

« Je considère le SEV comme mon syndicat. Une organisation que je construis, défends et utilise. Si je devais penser que mon syndicat fait fausse route, c’est de manière interne que je chercherai à résoudre le problème, quitte à créer des rapports de force. S’il faut se battre, c’est sur des positions que je me battrais et non contre des personnes. » Instigateur de plusieurs épreuves de force contre la direction de son entreprise, menées souvent avec succès, il livre la recette de sa méthode : « On ne fait pas une grève pour le plaisir de faire la grève. Quand on décide de faire la grève c’est pour gagner ! »

D’où vient cette détermination de Vincent Leggiero ? Originaire de Caserte (Italie), sa famille a émigré à Genève lorsqu’il était âgé d’à peine 3 ans. Son père était nettoyeur. « Quand on a été parqué toute son enfance dans une baraque, sans douche, il y a quelque chose qui reste, quelque chose qui ressemble à une colère intérieure. Je me suis syndiqué à l’âge de 15 ans à la FTMH, dès que j’avais commencé mon apprentissage de mécanicien auto. Depuis je n’ai pas arrêté. J’ai toujours été actif dans le mouvement ouvrier. Je suis un trotskiste, je ne m’en cache pas. »

 

« Je ne comprends pas les gens qui tirent la gueule déjà tôt le matin ! »

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Photo A. Egger

Violette Wicky, 57 ans, travaille depuis plus de 20 ans aux CFF comme cuisinière d’équipe dans un wagon. Elle réside à Monthey (VS). Elle est membre de la commission féminine du Syndicat du personnel des transports SEV. Ses loisirs ? Le tricot et la Playstation !

Est-ce que les cheminots ont un gros appétit ?
Ce ne sont plus les gros mangeurs d’autrefois. Ils font davantage attention à leur ligne comme moi… (grand éclat de rire).

Est-tu toujours de si bonne humeur ?
Je ne comprends pas les gens qui tirent la gueule déjà tôt le matin. C’est fou ce qu’il y a de potus sur terre. Même si on a des bobos, faut être content de pouvoir se lever.

Et toi, as-tu des bobos ?
J’ai plein de rhumatismes. Que veux-tu, c’est la jeunesse qui fout le camp et la vieillesse qui me rattrape (nouvel éclat de rire)… Mon toubib m’a dit que mon rire est mon meilleur médicament. On n’a pas l’âge qu’on a, mais l’âge qu’on se donne.

Que fais-tu durant tes loisirs ?
Mon hobby préféré, c’est jouer au Game Boy ou la Playstation. Je suis une enragée de jeux électroniques. J’aime les jeux de stratégie. Mais attention, j’ai aussi des loisirs plus compatibles avec ma génération comme le tricot et les puzzles.

Comment se déroulent tes journées de travail ?
Je me lève tous les matins à 5h30. Je dois marcher 20 minutes à pied jusqu’à la gare de Monthey. A 8h j’arrive à Lausanne. Je fais mes courses à la Migros et je commence à préparer le repas de midi dans mon wagon. Une fois que j’ai tout rangé, je quitte le wagon vers 14 ou 15 heures. Ensuite je vais faire des nettoyages dans une école lausannoise. Le soir, je ne suis jamais chez moi avant 20 heures.

Pourquoi faire encore des nettoyages après avoir cuisiné pour les cheminots ?
Je travaille aux CFF à 80%. A Monthey, j’ai racheté l’appartement de mon frère jumeau qui est décédé. Je suis divorcée sans enfants. Je vis seule, mais avec ce que je gagne aux CFF, je n’ai pas assez pour vivre. C’est certain que si j’avais épousé un beau millionnaire aux yeux bleus, il m’interdirait de faire des nettoyages.

Comment juges-tu le travail du syndicat ?
Le SEV fait du bon boulot. Parfois, j’entends des collègues qui critiquent le syndicat par derrière. Mais ils ne vont même pas aux assemblées pour s’informer et pour donner leur avis. Quand on fait partie d’un syndicat, on devrait avant tout être solidaires avec ses collègues. Nous avons tous besoin des autres pour vivre. T’es pas d’accord ?

Article paru dans travail & transport, septembre 2002.

 

 

L’œil américain de Vasco Pedrina

Durant le deuxième semestre 2001, Vasco Pedrina, alors président du Syndicat de l’industrie et du bâtiment (SIB), avait pris un congé sabbatique de cinq mois. Lors de l’attaque du 11 septembre, il se trouvait dans une école de langue à New York . Fin novembre 2001, alors que les décombres des Twin Towers étaient encore fumants, je l’ai l’interviewé à Manhattan.

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Photo AC

Comment les syndicats américains ont-ils réagi face aux attentats du 11 septembre et l’entrée en guerre des Etats-Unis en Afghanistan ?
Il faut savoir qu’il y a eu plus de mille collègues syndiqués qui ont péri dans les attentats du 11 septembre. Dans les tours du World Trade Center, 343 pompiers sont morts. Les pompiers forment à New York une corporation qui connaît un fort taux de syndicalisation. Les syndicats américains ont donc pris très nettement position en faveur des attaques en Afghanistan. Pour eux, cette guerre est indispensable pour répondre aux actes terroristes qui ont profondément ébranlé la base syndicale américaine.

Quel impact a eu le 11 septembre sur les travailleurs new-yorkais ?
Du 11 septembre 2011 à fin octobre, soit en à peine 50 jours, quelque 80’000 newyorkais ont perdu leur travail. Le 70% d’entre eux ne reçoivent rien de l’assurance chômage parce qu’ils avaient un emploi précaire et le 30% reçoivent environ 1000 dollars par mois et ceci durant 6 mois, pas un mois de plus ! Le New York Times vient de titrer un article « Hunger Emergency in New York » où l’on apprend qu’un million de personnes vivant dans la Grande Pomme auront recours cet hiver aux repas distribués par des associations humanitaires.

Cela paraît invraisemblable que tout cela se passe dans la plus grande ville de la première puissance mondiale !
Pour moi, la morale de cette histoire est que, quand je rentrerai en Suisse, je vais dire à mes camarades, avec encore plus de véhémence, qu’il faut tout faire pour préserver nos acquis sociaux. Que c’est important de maintenir les infrastructures de services publics. Nous devons contrer par tous les moyens possibles les dérives néolibérales.

Extrait de l’interview parue dans L’Evénement syndical, décembre 2001.